1722. AU CONSEILLER PRIVÉ DE LÉGATION COMTE DE PODEWILS A LA HAYE.

Berlin, 12 février 1745.

J'ai reçu votre dépêche du 5 de ce mois, et j'apprends avec plaisir la façon dont le lord Chesterfield a commencé à s'expliquer préalablement, envers vous sur les dispositions où l'on paraît être de la part du nouveau ministère d'Angleterre à vouloir renouer tout de bon avec moi. Mon intention est donc que vous fassiez les compliments les plus polis et les plus obligeants de ma part à ce milord, en l'assurant de la parfaite estime que je lui ai portée depuis bien du temps, et en lui faisant entendre que je le compte pour un des plus beaux génies de<45> l'Angleterre et des meilleures têtes de ce temps-ci, ayant toujours fort souhaité d'avoir la satisfaction de le connaître moi-même personnellement; que je me flatte qu'un ministre aussi éclairé que lui, et qui connaît si bien les affaires et les ressorts qui font agir les grands princes, devrait bien juger lui-même que jamais les liaisons entre les puissances ne peuvent être durables qu'autant que l'intérêt réciproque s'y trouve; que je veux bien m'expliquer confidemment envers lui, et avec plus d'ouverture de cœur que je ne le ferais avec un autre, sur les raisons qui m'avaient obligé, et forcé même malgré moi, à quitter les engagements dans lesquels j'avais été avec le roi d'Angleterre, et que j'espère que milord Chesterfield ne voudra jamais faire un mauvais usage de la confiance que je mets en lui. Que je le prie donc qu'il veuille bien se rappeler la duplicité avec laquelle le lord Carteret avait fait négocier contre moi sous main à la cour de Russie, où il avait contrecarré, autant qu'il avait dépendu de lui, mes négociations pour obtenir de rimpératrice de Russie la garantie de la Silésie et son accession au traité de Breslau sur ce pied-là: ce qui dénotait assez la mauvaise intention du ministre d'Angleterre d'alors de me préparer de loin des embarras capables à me dépouiller des cessions qu'on m'avait faites, ou de procurer à la cour de Vienne plus d'aisance à s'emparer d'un pays qu'elle avait été obligé de me céder; au lieu que, si l'intention du précédent ministre à mon égard avait été sincère, il aurait dû s'employer avec tout son crédit pour assurer d'autant plus la garantie que l'Angleterre m'avait faite de mes nouvelles possessions, par la concurrence des plus respectables puissances, pour m'attacher par là plus fermement à l'Angleterre, par les liens les plus indissolubles, que la sûreté seule de nos possessions peut faire naître et conserver; mais que bien loin de cela, le roi d'Angleterre, ainsi que j'avais appris de bonne main, inspiré sans doute par le conseil du lord Carteret, pour flatter la cour de Vienne de la mettre en état, un jour, de me reprendre ce qu'elle m'avait été obligée de céder, avait écrit à la reine de Hongrie, immédiatement après la signature de la paix de Breslau, une lettre relative à ce traité, où il y avait entre autres en termes exprès: que ce qui était bon à prendre, était bon à rendre.

Vous ferez remarquer, aussi, à milord Chesterfield que sous l'administration du lord Carteret on avait regardé le roi d'Angleterre comme un monarque despotique qui, plus occupé alors de ses intérêts d'Allemagne que de ceux de la nation, se procurait par des corruptions et des gens gagés une supériorité sûre, pour favoriser ses vues relatives à l'agrandissement de sa maison en Allemagne; que pair conséquent les sentiments du ministère d'Hanovre prévalaient entièrement et simplement dans ce temps-là dans le conseil anglais; que beaucoup de démêlés, de chicanes et de petites affaires avaient rendu les intérêts de l'électorat de Brandebourg incompatibles avec ceux de celui d'Hanovre, et qu'une jalousie mal placée, et nourrie soigneusement par le ministère d'Hanovre,<46> s'était perpétuée de temps immémorial dans la maison d'Hanovre contre celle de Prusse, et avait su tellement aliéner les esprits, de part et d'autre, que j'avais peine à m'imaginer qu'il pût jamais résulter quelque chose de bon pour mes intérêts de la part de toutes les cours où les sentiments du ministère d'Hanovre prévalaient, aussi longtemps que ces chicaneries dureraient entre les deux maisons électorales; qu'ayant été donc sur le point de conclure mon traité d'alliance avec le roi d'Angleterre, j'avais averti le lord Carteret de tous ces petits différends, en lui témoignant l'envie que j'avais de vouloir régler amiablement toutes ces petites affaires, afin qu'il ne restât plus aucun sujet de jalousie entre ces deux maisons. Mais milord Carteret, au lieu d'y travailler tout de bon, tâcha à m'endormir par les promesses les plus fortes que le tout serait réglé, sans que, malgré mes fréquentes sollicitations, il en ait jamais été plus question depuis.

En effet milord Chesterfield devait considérer lui-même quelles impressions ont dû faire sur moi

1° Toutes les fourberies que le lord Carteret avait prodiguées si amplement contre moi dans la négociation de Hanau, après m'avoir fait faire les protestations les plus fortes que jamais la paix d'Allemagne se traiterait sans moi, et qu'on n'en voulait ni à la dignité de l'Empereur, ni à ses pays héréditaires;

2° Le dédain et le mépris marqués avec lesquels le roi d'Angleterre avait traité mon ministre, le comte de Finck, dans le temps de ces négociations ;

3° La façon peu convenable, et indécente même, dont le lord Carteret s'était expliqué dans ce temps-là sur mon sujet envers mon susdit ministre, et envers d'autres ministres étrangers que je ne veux pas nommer par discrétion, ayant fait entendre au premier, sur mes pressantes sollicitations en faveur de l'Empereur, que celui qui n'avait pas de quoi soutenir une dignité, devait s'en dépouiller; et à d'autres, qu'il savait comment il fallait s'y prendre pour me mener et pour me brider;46-1

4° La réponse qu'il donna à mon ministre sur les dernières propositions de l'Empereur, auxquelles, selon lui, la cour de Vienne devait avoir répondu qu'elle ne trouvait pas encore de sa convenance de faire sa paix avec l'Empereur, quoique celle-ci niât après cela, comme meurtre, que jamais milord Carteret lui eût communiqué ces propositions de l'Empereur;46-2 enfin

5° Le traité de Worms, que je devais regarder comme de raison sur le pied du dénouement d'une scène qui devait me faire faire des réflexions bien sérieuses; que je priais milord Chesterfield de lire avec<47> impartialité le deuxième et le onzième47-1 article du traité de Worms, et de me dire si un Prussien entre les mains de qui ce traité tombait, en pouvait juger autrement, sinon que le contenu des susdits articles devrait naturellement regarder son maître, et qu'on préparait de loin à la cour de Vienne de réclamer même l'assistance de l'Angleterre et du roi de Sardaigne, pour se remettre en possession de ce qui lui devait appartenir par les traités antérieurs à celui de Breslau; aussi ai-je de bonnes preuves en mains que dans ce même temps on forgeait plus d'un projet à Vienne pour m'opprimer et pour me troubler dans mes possessions, comme cela s'est manifesté, par le propre aveu de la reine de Hongrie, dans la patente publiée en Silésie, où l'on dit expressément que la cession de la Silésie avait été extorquée par la force et qu'elle ne pouvait pas subsister. Qu'il fallait encore ajouter à tout cela le traité que le roi de Pologne avait fait avec la cour de Vienne47-2 et dont on m'avait caché les articles secrets, aussi bien que les intrigues qu'on avait fait jouer à la cour de Russie pour la faire entrer dans une ligue secrète contre moi. Que tout cela, considéré ensemble, m'avait fait voir évidemment que je ne pouvais trouver une sûreté, aussi peu avec le roi d'Angleterre et un ministre comme milord Carteret, qu'avec la reine de Hongrie, et que, manquant totalement de cette façon-là de liaison solide et de sûreté suffisante auprès de ceux qui se disaient mes alliés, et trouvant toujours leurs actions contraires à leurs paroles et à leurs protestations, j'avais cru ne pouvoir prendre un meilleur parti que de m'attacher à une puissance qui, étant de tout temps ennemie de la maison d'Autriche, ne pouvait pas manquer de s'unir étroitement avec moi pour soutenir les mêmes intérêts. Qu'avec cela, mon honneur m'avait engagé à ne point laisser abîmer l'Empereur, ou du moins à ne point sacrifier lui et mes alliés, comme la cour palatine et celle de Cassel, à la fureur et à la vengeance de la cour de Vienne; mais que depuis tout cela il était arrivé des changements heureux en Angleterre, où il me paraissait que la sagesse ait succédé à la fureur, et qu'il me paraissait permis et convenable même de prendre confiance dans le ministère d'Angleterre, toutes et quantes fois que le Roi comme électeur d'Hanovre et les principes de ses ministres allemands ne pouvaient pas avoir une influence supérieure, et que l'intérêt national réglait les démarches du nouveau ministère.

Qu'ainsi les affaires n'étaient pas si embrouillées que nous ne puissions renouer ensemble, et qu'il ne s'agissait que d'établir solidement la pacification de l'Empire, sur le pied que j'avais fait indiquer secrètement au lord Harrington par mon ministre en Angleterre, et que je puisse trouver toutes les sûretés nécessaires qu'il fallait me procurer contre les desseins de la cour de Vienne, outre les dédommagements de tous les dégâts que les troupes hongroises avaient faits dans mes États.

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Qu'au reste milord Chesterfield aurait été informé déjà par le lord Harrington de ma façon de penser au sujet de la vacance du trône impérial, et qu'il ne dépendrait que de l'Angleterre d'en profiter, sous les conditions que j'avais fait insinuer au lord Harrington; à quoi vous pouvez ajouter que la puissance de la maison d'Autriche n'était pas tant à mépriser comme milord Chesterfield le paraissait croire, et qu'elle était toujours fort en état, même quand les subsides de l'Angleterre cesseraient, de me nuire, si je n'avais pas d'alliés, et qu'on ne manquerait pas d'en conserver l'envie à Vienne, surtout si la dignité impériale rentrait dans la maison d'Autriche — ce qui serait un si grand surcroît de puissance pour elle qu'il en était fait de la balance en Allemagne, si on ne prenait pas les mesures nécessaires de bonne heure de le prévenir par des arrangements solides et capables d'établir une sûreté suffisante; qu'il ne, dépendrait que de l'Angleterre de profiter des conditions modérées et équitables que je désirais, pour nous accorder ensemble, et que je me flattais que milord Chesterfield voudrait bien mettre la main à un ouvrage si salutaire.

Voilà ce que vous devez détailler tout au long à milord Chesterfield, en lui lisant même cette dépêche d'un bout à l'autre, sans lui en donner toutefois une copie, et vous ne manquerez pas de m'informer en détail et par estafette de la réponse de cet ambassadeur.

Federic.

Vous ferez l'usage ci-dessus que je vous ai ordonné, et comme je me prépare pour retourner dans peu à l'armée, vous m'enverrez la réponse du comte de Chesterfield par un exprès.

Nach dem Concept. Der Zusatz nach Abschrift der Cabinetskanzlei.



46-1 Nach Finckensteins Bericht, Hanau 20. August 1743, hat Carteret gegen den baierischen Gesandten Haslang geäussert: „Qu'il savait le ton sur lequel il fallait prendre Votre Majesté, et qu'il était sûr qu'Elle ne quitterait pas la neutralité.“ Ueber die hanauer Verhandlungen im allgemeinen vergl. Bd. II, 381 ff.

46-2 Vergl. Bd. II, 466.

47-1 Gemeint ist der 13. Artikel. Vergl. Bd. III, 26, Anm. 3.

47-2 Vergl. Bd. II, 497.