1995. AU MINISTRE D'ÉTAT COMTE DE PODEWILS A BERLIN.
Camp de Staudenz, 25 septembre 1745.
Mon cher Podewils. Je suis tout-à-fait de votre sentiment sur le sujet du pouvoir de la cour de Londres sur celles de Dresde et de Vienne. Attendons donc notre sort patiemment, et même ne rompons qu'en cas que l'Angleterre ne nous fasse sentir qu'il n'y a rien à faire pour nous. Quant au militaire, mon cher Podewils, vous n'y entendez rien, car, premièrement, quand on avance dix pas dans un pays ennemi, il faut prodigieusement de charriages pour traîner toutes les subsistances avec soi ; il y a un second article, qui est celui des fourrages; ainsi ce n'est pas moi qui commande l'armée, mais la farine et les fourrages sont les maîtres. C'est donc sur ces connaissances que j'ai formé le Projet de si bien manger ces banlieues de dix milles de mes frontières que cet hiver les ennemis ne pourront pas y faire subsister un chat, ce qui procurera par conséquent du repos à mes troupes pendant l'hiver. Je ne crains point les Autrichiens et je suis toujours en état de les battre, si mes intérêts le demandent, mais ici ne se bat point qui veut ; et quand même ils me seraient supérieurs et que je trouvasse à propos<286> d'éviter une affaire générale, cela dépend absolument de moi. Ne vous embarrassez pas de l'armée, car je puis vous assurer que nous avons toujours presque la supériorité nonobstant tous les détachements. Je puis me conserver sur les frontières de Bohême jusqu'au 24 d'octobre, où j'ai intention d'entrer en Silésie pour prendre mes quartiers d'hiver. B faut qu'entre ci et ce temps-là notre affaire soit tirée au clair. Je pense que nous pouvons laisser nos pédants à Francfort jusqu'à ce que nous ayons une relation d'Andrié qui nous fasse voir jour dans l'avenir, après quoi nous pourrons les faire agir selon les conjonctures. Adieu. Ne vous inquiétez pas trop de l'avenir; travaillez, mais faites comme moi, qui [apprends] à mon âme, à coups de bâton, à devenir patiente et tranquille. Sur quoi, je prie Dieu etc.
Federic.
P. S. 1.
Camp de Staudenz, 26 septembre 1745. J'ai oublié à vous dire que, quant à l'affaire des subsides de la France, il faut que vous instruisiez à la première ordinaire le baron Le Chambrier que, bien qu'il ne doive point encore accepter la somme des subsides que la France nous offre, il doit pourtant s'expliquer toujours bien poliment et ne point laisser tomber cette affaire, en représentant seulement l'impossibilité où j'étais de m'aider à soutenir la guerre par une somme si médiocre. Outre cela faut-il qu'il pousse bien à la roue touchant le secours en troupes qu'on nous a promis, et qui nous est fort nécessaire. Mais d'abord que vous verrez que notre négociation avec l'Angleterre n'a point de succès, alors il sera nécessaire que, sans la moindre perte de temps, vous instruisiez le sieur Le Chambrier qu'il doit faire tout ce qui est humainement possible, et remuer même ciel et terre, pour que la France détermine la somme des subsides à deux millions d'écus par an, et qu'elle nous en fasse payer d'abord la somme d'un million d'écus, pour que je puisse m'en aider pour faire mes magasins et les autres arrangements très nécessaires pour soutenir la guerre. B pourra dire que je ne trompe point là-dessus le roi de France, ni ne cherche d'en tirer profit, mais que la France jugerait ellemême ce qu'il me faudrait faire de dépenses pour soutenir trois armées qui devaient agir en différents lieux. Au reste, je suis de votre sentiment que, si le roi d'Angleterre et les États-Généraux tiennent ferme et fort contre la mauvaise volonté de la reine de Hongrie, il ne saura pas manquer que nous n'ayons la paix, auquel cas je crois qu'il ne sera plus alors nécessaire que le sieur de Klinggraeffen continue son poste à Munich, mais que je pourrai me servir plus utilement de cet habile homme d'autre part. Mais, si contre toute apparence notre affaire avec le roi d'Angleterre devait échouer, je crois qu'alors nous pourrions aisément renouer avec la France, qui dissimulera peut-être alors notre chipotage avec l'Angleterre. J'approuve fort ce que vous me proposez dans votre relation du 21 de ce mois par rapport à la manière de faire<287> ouverture à la France de notre affaire d'Hanovre, et vous n'avez qu'à suivre vos idées là-dessus.287-1 Si Valory ou le ministère de France se plaint de ce que nous ne lui en avons pas plus tôt fait ouverture, on pourra leur repartir qu'on ne nous avait non plus fait ouverture de ce que l'abbé de La Ville avait proposé à la Haye, touchant le congrès de paix qu'il y avait proposé.
Vous expédierez les ordres pour donner le Vorspann à Woronzow,287-2 s'il est encore temps de le faire. Je suis d'opinion que cet homme ne vient pas nous voir à Berlin pour une commission d'importance, mais plutôt pour éprouver ma générosité envers lui; il faudra pourtant faire tout ce qu'on pourra pour l'amadouer bien et pour le retenir dans notre parti contre la mauvaise volonté du Chancelier : enfin, dans une crise si grande que celle où nous sommes, je me remets en tout sur votre savoir-faire et votre dextérité.
Federic.
P. S. 2.
La relation que vous m'avez faite le 21 de ce mois m'étant parvenue avant le départ de ma dépêche précédente, je veux bien vous dire que vous me proposez un problème bien épineux sur la façon de nous conduire avec la France après notre secret éventé. Pour moi, je pense que les Français dissimuleront et ne feront semblant de rien ; je me flatte d'un côté que le roi d'Angleterre tiendra bon; c'est ce que nous verrons si l'échange des ratifications se fait, et, en ce cas, le secret trahi liera le roi d'Angleterre qu'il ne nous fasse pas de tort, car la nation prendra notre parti à coup sûr, et nous en tirerons pied ou aile. Touchant les Français, le parti le plus honnête est de leur avouer naturellement la chose et de leur exposer avec toute la politesse le tort dans lequel ils sont, et les pressantes raisons qui m'ont forcé à prendre un parti extrême. Si la paix ne se fait point, je prendrai sûrement des quartiers à Troppau, Jägerndorf etc., et où je pourrai, mais il ne faut pas s'établir dans ces endroits avant la fin d'octobre; en un mot, dès que notre convention est connue, l'honneur du roi d'Angleterre devant toute l'Europe et son intérêt pour l'intérieur de son pays demandent qu'il tienne, comme il pourra, ce qu'il nous a promis; et si les Saxons ont trahi ce mystère, ils m'ont fait plus de bien que de mal; et à parler proprement, il est fâcheux que les Saxons aient éventé ce secret à Dresde et en Allemagne, mais je crois qu'il sera d'un bon effet<288> si cela vient à présent à la connaissance de la nation anglaise, qui selon toutes les apparences prendra par là notre partie contre l'opiniâtreté de la reine de Hongrie et obligera le roi d'Angleterre, pour son propre honneur et pour la gloire de la nation, de faire tous ses efforts pour obliger la reine de Hongrie d'accepter la convention. Je crois que vous ne ferez pas mal d'instruire Andrié, pour en faire adroitement usage.
Le gros Valory, que les Autrichiens ont manqué d'enlever à Jaromircz, a manqué d'être brûlé à Trautenau,288-1 il est dégoûté pour sa vie de la Bohême, il est parti pour Breslau, sans rien dire à personne.
Federic.
Nach der Ausfertigung.
287-1 Podewils hatte seine Ansicht dahin abgegeben, es sei das beste, den Abschluss der Convention von Hannover ohne Umschweife einzugestehen, mit der Erklärung, dass man durch die Haltung Frankreichs und den Rückzug der Franzosen aus Deutschland dazu gezwungen sei. „Je devrais croire que, malgré cette démarche, et si notre affaire devait rompre avec l'Angleterre, la France sera toujours bien aise de nous conserver pour lui faire une diversion puissante et pour donner de l'occupation à ses eunemis en Allemagne.“
287-2 Graf Woronzow beabsichtigte, zur Herstellung seiner Gesundheit den Süden Europas aufzusuchen.
288-1 Eichel schreibt an Podewils, 26. September: „Das letztgewesene Feuer zu Trautenau ist gleich neben der Wohnung von Monsieur Valory ausgebrochen, welcher dadurch wieder verschiedenes von seiner Equipage verloren hat.“ Vergl. S. 272 Anm.