2155. AU CONSEILLER BARON LE CHAMBRIER A PARIS.
Berlin, 19 février 1746.
J'ai reçu les relations que vous m'avez faites le 31 du mois janvier passé et le 4 de ce mois. Si le marquis d'Argenson est de l'opinion que la paix ne pourrait être faite que par moi, je veux bien vous dire que les Hollandais se sont déjà rapprochés au point de me faire entendre qu'ils désiraient fort une suspension d'armes dans les Pays-Bas; mais comme ce n'a point été une proposition que je pouvais faire à la France, je n'ai pas voulu m'en charger, étant du sentiment que, si l'on demande ma médiation, il faut qu'on s'explique ou sur une paix générale ou sur une suspension d'armes qui ait pour base des préliminaires réglés.
D'ailleurs, je suis du sentiment que le roi de France n'est point dans le cas de sacrifier tous ses avantages qu'il a eus jusqu'à présent, pour avoir la paix de ses ennemis, et qu'il pourrait bien faire ses convenances, surtout dans les Pays-Bas.
Quant à la guerre d'Allemagne, que le marquis d'Argenson me paraît craindre le plus, il faut que je vous dise qu'on ne voit guère de disposition auprès les États de l'Empire d'entrer dans une guerre offensive contre la France, et que la plus sensée et la plus grande partie des États de l'Empire est encore encline pour la neutralité; que je ne donnerai ma voix à la Diète que pour la neutralité, sur laquelle j'insisterai d'autant plus qu'ayant garanti par ma paix avec la reine de Hongrie ses possessions en Allemagne, j'ai fait déclarer que je ferais de mon mieux pour disposer la France à accepter la neutralité avec l'Empire, et qu'en cas pas celle-ci l'accordât, il fallait l'accepter; mais que, si de la part de l'Empereur on ne l'acceptât point, et qu'on voulût faire la guerre offensive à la France, je me tenais quitte alors de mes garanties.
Quant à l'appréhension du marquis d'Argenson que je pourrais me voir obligé de donner mes troupes contre la France, en cas que l'Empereur lui déclarât la guerre, vous pourrez bien lui dire qu'il me paraissait qu'il n'était pas assez informé de la constitution de l'Empire, et que, quand même l'Empereur devrait faire la guerre à la France, je n'étais point obligé de fournir à l'Empereur ni de troupes ni de Mois romains; qu'en attendant je ne discontinuerais point de travailler auprès les États de l'Empire d'une manière convenable pour le maintien de la neutralité, et que tout ce qui pourrait arriver jusqu'à cette heure, était que peut-être quelques Cercles de l'Empire pourraient tirer une espèce de cordon pour couvrir leurs frontières.
Vous direz cependant, à cette occasion, au marquis d'Argenson que je voyais que la France demandait toujours que de ma part je dusse lui faire plaisir dans toutes les occurrences, elle qui n'avait rien fait pour moi et qui n'avait encore ni la moindre attention ni considération<29> pour moi, témoin la résolution que le comte de Maurepas venait de vous donner touchant le bâtiment marchand d'un de mes sujets que les Ostendois avaient pris et que j'avais réclamé comme de bon droit; mais que je n'entendais pas me payer de cette défaite, ni me laisser traiter en ennemi par la cour de France, et que je prétendais protéger mes sujets et réclamer ce bâtiment avec toute sa cargaison, sans m'arrêter à ce que l'amirauté de France trouverait bon d'en décider.
Du reste, comme il y a un homme de lettres, nommé Fréron, qu'on a arrêté à Paris pour des soupçons, et qu'il me paraît qu'il sera indifférent au ministère de la France d'avoir cet homme encoffré dans la bastille ou de le reléguer tout-à-fait de la France, mon intention est que vous en deviez faire la proposition aux ministres, en ajoutant que de cette manière ils seront quittes de cet homme, que je prendrais alors chez moi.
Federic.
Nach dem Concept.