2305. AU MINISTRE D'ÉTAT BARON DE MARDEFELD A SAINT-PÉTERSBOURG.
Potsdam, 16 août 1746.
Les dépêches que vous m'avez faites en date du 30 du mois de juillet passé, m'ont été bien rendues. Il est vrai qu'il y a dans les avis qu'on vous a donnés par rapport à la rupture prochaine de la Russie avec moi, des circonstances qui auraient dû naturellement m'embarrasser, si je n'avais pas une conviction certaine que tout ce qu'on vous a dit là-dessus, n'est autre chose que ou de continuer les ostentations qu'on a commencé à faire, ou peut-être une manigance du Chancelier pour vous faire peur et pour vous presser d'autant plus à partir de Pétersbourg, avant que l'Impératrice y retourne. Les raisons que j'ai pour ne croire rien de tous ces avis qu'on vous a donnés, sont les suivantes :
1° Qu'il y a toute l'apparence du monde que le traité qui vient d'être renouvelé entre les cours de Pétersbourg et de Vienne, n'est qu'un traité purement défensif, et que malgré la continuation des préparatifs de guerre, qui vont leur train, tout ce fracas n'aboutira à rien qu'à tenir les puissances voisines en échec, parceque
2° Le temps d'agir est passé tant par mer que par terre, et avant que les troupes qui sont au voisinage de Pétersbourg, puissent arriver à Riga, le mois de septembre y sera, et ainsi le temps pour opérer passé.
3° Il vous est déjà connu quelles excuses la cour de Pétersbourg m'a fait faire par Tschernyschew, de ce qu'on vous avait mis hors<159> d'activité. C'est ce que la Russie n'aurait point eu lieu de faire, si elle pensait tout de bon à dégaîner contre moi.
4° Il s'en faut beaucoup que les avantages qu'on a tant vantés peut-être à Pétersbourg de la bataille de Plaisance, soient si grands qu'on les a prônés au commencement, et il n'y a rien de plus certain que cette bataille n'a été point du tout décisive, puisque l'armée française et espagnole se soutient toujours, malgré la supériorité de l'armée austro-sarde, et donne assez de besogne à celle-là, et qu'ainsi
5° La reine de Hongrie est absolument hors d'état d'opérer contre moi de son côté.
6 ° Le roi d'Angleterre est sur le point de signer l'acte solennel de la garantie de la Silésie, ce qu'il aurait pu décliner fort aisément, si la Russie était sur le point de rompre avec moi en faveur de la reine de Hongrie, et vous conviendrez que, sans que l'Angleterre y soit de concert, ni l'une ni l'autre ne sera en état de m'attaquer. D'ailleurs, je crois bien que l'Angleterre est de concert avec la Russie, pour que celle-ci fasse toutes les démonstrations qu'elle a actuellement faites, mais aussi suis-je persuadé que l'Angleterre ne consentira pas que cela aille plus loin, par son propre intérêt, qui est de ne point permettre qu'il y ait un nouvel incendie dans le Nord, surtout pendant la guerre qu'elle a à soutenir encore contre la France et l'Espagne.
7 ° On vient de m'avertir que l'armée russienne est encore dans la même position qu'elle a été, qu'on commençait à remplir de nouveau les magasins en Livonie pour sa subsistance et qu'on avait publié à Riga et Mitau des chaires des églises que quiconque parlerait que les armements de la Russie m'avaient pour but, devrait avoir sans miséricorde le knout.
Ainsi par toutes ces raisons, et d'autres encore, j'ai lieu de croire que je n'aurai rien à craindre de la Russie pendant cette année-ci. Mais ce qui me paraît, c'est ce qu'il se peut fort bien que le ministre russien ait trouvé moyen d'induire sa souveraine à envoyer quelques milliers de ses troupes comme auxiliaires de la reine de Hongrie en Allemagne, pour agir contre la France, et qu'on ait donné des ordres aux autres troupes qui ont été aux environs de Pétersbourg, pour remplacer celles qu'on veut détacher en Allemagne. Enfin, la saison qui avance obligera la cour de Pétersbourg de développer tous ses mystères sur ce sujet-là. Vous y serez, en attendant, attentif, autant que vos circonstances présentes le permettront. Le comte de Tschernyschew vient de partir de Berlin, après avoir pris congé de mes ministres, et on me mande de Prusse que le comte de Woronzow est parti de Königsberg le 11 de ce mois, pour continuer son voyage à Pétersbourg.
Federic.
Nach dem Concept.
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