2361. AU MARÉCHAL DE FRANCE COMTE DE SAXE AU CAMP DE TONGRES.
3 octobre 1746.201-1
La lettre que vous m'avez fait le plaisir de m'écrire,201-2 m'a été fort agréable; je crois qu'elle peut servir d'instruction pour tout homme qui est chargé de la conduite d'une armée. Vous donnez des préceptes, vous les soutenez par vos exemples, et je puis vous assurer que je n'ai pas été des derniers à applaudir aux manœuvres que vous avez faites. Dans le premier bouillon de la jeunesse, lorsqu'on ne suit que la vivacité d'une imagination qui n'est pas réglée par l'expérience, on<202> sacrifie tout aux actions brillantes et aux choses singulières qui ont de l'éclat. A vingt ans, Boileau estimait Voiture; à trente ans, il lui préférait Horace.
Dans les premières années que je pris le commandement de mes troupes, j'étais pour les pointes; mais tant d'événements que j'ai vus arriver, auxquels même j'ai eu part, m'en ont détaché. Ce sont ces pointes qui m'ont fait manquer ma campagne de 1744; et c'est pour avoir mal assuré la position de leurs armées que les Français et les Espagnols ont enfin été réduits à abandonner l'Italie.
J'ai suivi pas à pas votre campagne de Flandre, et, sans que j'aie eu assez de présomption pour me fier à mon jugement, je crois que la critique la plus sévère ne peut y trouver prise.
Le grand art de la guerre est de prévenir tous les événements, et le grand art du général est d'avoir préparé d'avance toutes les ressources, pour n'être point embarrassé de son parti lorsque le moment décisif est venu. Et plus les troupes sont bonnes, bien disciplinées et bien composées, moins il y a d'art à les conduire; comme c'est à surmonter les difficultés que s'acquiert la gloire, il est sûr que celui qui en a le plus à vaincre, doit aussi avoir une plus grande part à l'honneur.
On fera toujours de Fabius un Annibal; mais je ne crois pas qu'un Annibal soit capable de suivre la conduite de Fabius.
Je vous félicite de tout mon cœur sur la belle campagne que vous venez de finir; je ne doute pas que les succès de votre campagne prochaine ne soient dignes des deux précédentes. Vous prévenez les événements avec trop de prudence pour que les suites ne doivent pas y répondre. Le chapitre des événements est vaste; mais la prévoyance et l'habileté peuvent corriger la fortune.
Je suis avec bien de l'estime votre affectionné ami
Federic.
Nach dem Abdruck in den Lettres et mémoires choisis parmi les papiers origipaux du maréchal de Saxe, Paris 1794, III, 240.
201-1 In den Œuvres de Frédéric le Grand, XVII, 307 nach dem Text der Correspondance littéraire de Grimm et Diderot, Paris 1813, première partie, II, 375 mit dem falschen Datum 3. November abgedruckt.
201-2 Gedruckt in den Œuvres de Frédéric le Grand, XVII, 306.