2522. AU CONSEILLER ANDRIÉ A LONDRES.

Potsdam, 7 février 1747.

Les deux relations que vous m'avez faites en date du 24 et du 27 du mois de janvier passé, m'ont été rendues à la fois. Comme votre post-scriptum chiffré du 24 dudit mois a occupé cette fois-ci mon attention particulièrement, je vais vous dire là-dessus que, dès que vous pourrez parler à milord Chesterfield, vous lui direz, après un compliment convenable sur l'obligation extrême que je lui avais de ce qu'il avait bien voulu si cordialement s'expliquer sur tous les doutes et sur les soupçons qu'on avait à mon égard, que, pour lui parler naturellement de l'état de mes affaires, je lui disais que j'étais dans les dispositions les plus fermes et les plus sincères de vivre cordialement et amicalement avec l'Angleterre et de remplir au pied de la lettre les engagements que j'avais avec elle; que je n'avais point d'engagements avec la France et que je n'avais aucune part ni n'en avais jamais eu à l'envoi du sieur Desalleurs à Constantinople; que je n'avais jamais suggéré aux Français de vigoureuses résolutions relativement aux Hollandais ni les avais détournés de la paix, et que d'ailleurs je n'aurais jamais voulu faire mon alliance avec la Suède au pied que la France l'aurait bien voulu; qu'après la paix de Dresde j'avais été dans la meilleure disposition du monde pour vivre en bonne harmonie avec la reine de Hongrie, mais que toutes les chicanes qu'elle m'avait faites du depuis, et l'omission<313> de l'accomplissement du traité de paix de sa part, m'avaient fait voir clairement que sa disposition envers moi n'était nullement sincère, et qu'aussi souvent que j'avais été à rechercher les garanties stipulées dans le traité de notre paix, la reine de Hongrie les avait fait manquer ou les avait empêchées tant qu'elle avait pu; que milord Chesterfield pouvait juger jusqu'où avait été la bonté de mes intentions, puisque j'avais fait avoir des quartiers d'hiver à quelques régiments des troupes autrichiennes dans le pays de l'Électeur palatin, et que dans toutes les affaires de l'Empire je n'avais rien mis dans leur chemin.

Après tant de mauvaise volonté de la cour de Vienne, il avait été bien juste que j'eusse pris mes mesures là-contre, et que je cherche des amis où j'en puis trouver.

L'Angleterre, quelle raison a-t-elle d'être fâchée de ce que je fais une alliance défensive avec la Suède? et quel mal lui en peut-il résulter? Je croirais d'ailleurs que, si les Anglais avaient mes intérêts bien à cœur, ils seraient bien aise de voir affermir ma situation par de bonnes alliances, et qu'ils ne m'envieraient pas un avantage aussi frivole que celui-là.

Que pour ce qui regarde la Saxe, je n'avais pas contribué directement au mariage de la Dauphine; qu'on avait eu des vues en France sur ma sœur cadette, et que, sur cela, j'avais insinué aux Français que, si l'on voulait avoir une princesse d'Allemagne pour la marier au Dauphin, une princesse de Saxe leur conviendrait mieux, à tous égards; que d'ailleurs ce mariage de la Saxe n'était qu'un arrangement de famille pour le roi de Pologne, et que j'avais été bien aise de lui donner cette marque-là de mon amitié, pour que ce fût une espèce d'emplâtre qui le guérît des coups passés. Qu'au surplus j'avouais naturellement à lui, milord Chesterfield, que j'aimerais mieux que les Saxons fussent en alliance avec la France qu'avec la reine de Hongrie, et que j'avais vu de quoi ils étaient capables, quand ils étaient liés avec la reine de Hongrie; et comme je ne demandais que d'être en paix avec tous mes voisins, j'avais plus de confiance de pouvoir la conserver avec les Saxons sur ce pied-là que d'une autre façon.

Que j'étais persuadé qu'un ministre aussi éclairé que lui aurait pénétré d'avance toutes ces raisons-là; que je me conduisais aussi conséquemment que je pouvais selon mes intérêts, et qu'il n'y avait rien de plus naturel dans le monde que de se lier avec les ennemis de nos ennemis; que j'étais fort obligé à milord Chesterfield de la confidence qu'il m'avait faite des discours prétendus des ministres de France, mais que, comme une confidence valait l'autre, je lui disais naturellement tout ce qui m'était revenu par de différents endroits, quoique je pusse l'assurer en même temps que je n'y avais pas ajouté foi : que beaucoup de gens prétendaient de savoir que de grosses sommes d'argent avaient été envoyées de l'Angleterre à Pétersbourg, pour faire faire ces ostentations de l'année passée aux troupes russiennes; qu'on disait dans le monde<314> que ce projet était dû à milord Carteret, et que l'Angleterre n'avait peut-être pas eu peu de part à l'alliance que les Russes avaient faite avec les Autrichiens.

Qu'on disait, de plus, que la reine de Hongrie n'osait rien refuser au roi d'Angleterre, et que, si c'était bien le sérieux de celui-ci de me procurer la garantie de l'Empire, certainement la cour de Vienne n'oserait jamais s'y opposer; qu'il y avait encore une infinité d'autres choses de cette nature qu'on débitait, par exemple que le roi d'Angleterre avait des vues de placer le duc de Cumberland sur le trône de Suède, et telles autres choses que je regardais comme des calomnies atroces, et qui n'étaient pas dignes qu'on y fît attention.

Mais que milord Chesterfield m'avouerait naturellement que je n'avais aucune raison valable de me brouiller avec la France, qu'au contraire je devais avoir du ménagement pour cette cour-là, afin qu'elle ne fasse pas quelque accommodement furtif avec la reine de Hongrie à mes dépens, enfin, qu'à la paix générale elle me garantisse avec toutes les autres puissances la Silésie et mes possessions; que je ne voyais rien que de fort naturel et fort simple dans ma conduite, et que j'espérais que milord Chesterfield aura lieu d'être content de la confiance dont j'agissais avec lui, et de la sincérité cordiale avec laquelle je lui expliquais mes affaires. Qu'au reste, je ne saurais lui cacher les soupçons que j'avais que toutes les insinuations contre moi lui avaient été faites de la part des Autrichiens, mais que la cour de Vienne me voyait avec les yeux dont les superstitieux voient le diable: ils lui attribuent tout le mal qui leur arrive et qu'ils appréhendent; que j'avais cependant trop bonne opinion de milord Chesterfield qu'il ne donnerait jamais dans des piéges si grossiers, que l'on ne tendait que pour aliéner lui et la nation anglaise de mes intérêts.

Vous ne manquerez pas de détailler fort bien tout cela audit milord dans le sens que je vous l'ai prescrit, et de me mander alors par une relation exacte et fort détaillée ce qu'il vous aura répondu là-dessus.

Federic.

Nach Abschrift der Cabinetskanzlei.