2540. AU CONSEILLER BARON LE CHAMBRIER A PARIS.
Potsdam, 21 février 1747.
J'ai reçu à la fois vos dépêches du 6 et du 10 de ce mois. Le caractère que vous supposez au Prétendant, est assez conforme à tout ce que j'ai appris jusqu'ici de son personnel, mais je ne saurais m'imaginer que son départ de la cour de France eût pour motif du dépit contre celle-là, et comme il n'a guère d'autre protection considérable que celle de la France, j'ai de la peine à croire qu'il voulût éclater étourdiment contre celle-ci; je suis plutôt porté à accéder aux sentiments de ceux qui se persuadent que c'est par quelque nouveau dessein de la France qu'il a disparu, et qu'il reparaîtra, en temps et lieu, quelque autre part.
Quant aux conjectures que vous avez faites relativement à ce que peut actuellement être la façon de penser des ministres de France à<326> mon égard, je vous dirai pour votre direction que dans le fond de mon âme je ne souhaite rien de plus que de pouvoir rester neutre et me mettre, comme vous dites fort bien, vis-à-vis de la cour de France sans l'effaroucher ni la rebuter de ce que j'envisage différemment de ce qu'elle souhaite les choses qui me peuvent être proposées par cette cour. En conséquence de ce principe donc, je trouve le tour que vous pensez de donner à vos réponses aux ministres français lorsqu'ils vous parleront, fort bon et très bien placé,326-1 et ne doute nullement que vous n'en fassiez le meilleur usage, selon la dextérité que je vous connais. Vous leur donnerez encore à entendre alors combien j'avais lieu, pendant que la guerre durera encore, d'avoir des ménagements pour les puissances alliées contre la France, afin de ne pas manquer d'être inclus dans la pacification générale, et d'avoir alors la garantie sur mes possessions de toutes les puissances contractantes, parceque sans cette garantie-là je ne saurais jamais être assuré de la possession tranquille de la Silésie. Au surplus, si les ministres de France devaient vous proposer quelque nouvel engagement entre moi et la France pendant la présente guerre, vous devez leur insinuer, quoiqu'en des termes fort ménagés et bien modestes, que, lorsque je m'étais déclaré ouvertement pour la France, je m'en étais trouvé si mal, par l'abandon qu'elle m'avait fait, que j'avais couru risque d'être abîmé; que, si je voulais me mêler encore ouvertement de leurs affaires, je m'attirerais les mêmes ennemis que j'avais eus sur les bras, et, outre ceux-là, encore toutes les forces de la Russie, et qu'ainsi donc, je ne saurais être si évaporé de m'attirer un mal présent et certain pour éviter un qui était encore à venir et incertain.
D'un autre côté, si l'on vous proposait qu'on ne voudrait pas de moi ce qui a du rapport à la guerre actuelle, mais qu'on désirait seulement de faire, en attendant, un traité d'alliance avec moi, vous direz aux ministres que c'était l'intérêt des princes puissants qui faisait leurs véritables alliances; que je connaissais assez le mien pour être convaincu de la nécessité qu'il y avait d'être indissolublement attaché à la France, si je ne voulais préjudicier à mes intérêts, tout comme il était réciproquement de l'intérêt de la France de me tenir à elle et de m'avantager, si elle ne voulût préjudicier à ses affaires, et qu'en conséquence nous étions naturellement si liés ensemble que nous n'avions pas besoin de traités d'alliance, mais seulement d'agir toujours de chaque côté conformément à nos intérêts réciproques.
Sur ce qui est du concert que vous croyez qu'on voudra faire avec moi relativement au cas de vacance du trône de Pologne, il faut que je<327> vous dise que je ne crois pas le temps déjà assez propre pour faire des concerts à cet égard-là; mais si le cas devait arriver, après la paix générale faite, il sera à voir alors si les cours de Vienne et de Pétersbourg vivront dans une étroite intelligence, et si elles s'accorderont entre elles sur un sujet qui doive succéder à la couronne de Pologne. S'ils sont d'accord entre eux là-dessus, ni la France ni moi nous ne pourrons nous y opposer avec succès. Mais s'il arrivait que, le cas de vacance existant, ces deux cours-là n'étaient pas trop bien ensemble, alors la France et moi nous pourrons aisément nous concerter sur ce qu'il y aura à faire selon les conjonctures de ce temps-là.
Au reste, vous n'oublierez pas, aussi souvent que vous aurez des entretiens avec les ministres de France, d'assaisoner vos projets des plus fortes assurances sur l'estime que j'ai pour le roi de France, et sur le cas infini que je fais toujours de son amitié.
Federic.
Nach dem Concept.
326-1 Chambrier meldet in seinem Bericht vom 10. Februar: „Je ferai de mon mieux de m'en tirer, en insistant toujours sur les grandes raisons qui doivent engager la France à laisser agir Votre Majesté comme Elle croit devoir le faire, et ne pas exiger d'Elle une conduite, pour rendre service à la France, qui soit diamétralement opposée à l'intérêt de la dernière pour la neutralité de l'Empire, qui est le grand objet de la France.“