<395> ligue défensive se former entre tous les princes de l'Allemagne, pour mettre le roi d'Angleterre en état d'imposer des lois à la France. La façon dont j'ai constamment rejeté pareille proposition qui me faisait horreur, leur a fait comprendre que la France était comme un grand arbre auquel il fallait couper les branches avant que de penser à l'abattre; c'est ce qui leur a fait tourner tous leurs desseins du côté du Nord, où ils espèrent qu'après avoir dompté la Suède et m'avoir hé les pieds et les poings, en sûreté sur les derrières ils n'en auraient que meilleur jeu de la France. Vous pouvez dire en même temps à M. de Puyzieulx qu'intéressé comme j'y suis, je souhaite de tout mon cœur que mes tristes prédictions ne s'accomplissent point; que je n'ai aucune intention d'entraîner la France dans quelque guerre que ce puisse être; qu'il sera convaincu par les événements que ce ne sera pas moi qui mettrai le feu aux étoupes, et que, si la guerre commence, on verra clairement par l'ambition de quel prince elle a été couvée.
Je me soumets au jugement de M. de Puyzieulx s'il ne croirait pas que ce serait de l'avantage de la France et de ses alliés d'étouffer des projets aussi dangereux avant leur naissance, si on pouvait le faire d'une bonne manière, et s'il ne croirait pas qu'en s'expliquant cordialement avec l'Angleterre sur ce sujet-là, on pourrait faire faire peut-être des réflexions au roi d'Angleterre qui l'empêcheraient à s'abandonner aveuglément à la véhémence de ses passions; que la France pourrait faire une démarche comme celle-là sans se commettre en rien et sans s'engager plus loin qu'elle voudrait bien le faire; que cela ajouterait le comble de gloire à la cour de France, d'avoir procuré dans une seule année deux fois la paix à l'Europe.
Il me semble, encore, que, si la France envisageait bien la chose, par une déclaration vigoureuse faite à Londres elle pourrait encore arrêter à présent l'exécution de tous ces noirs projets.
Voilà ce que vous aurez à insinuer convenablement à M. de Puyzieulx.
Mais je ne comprends que trop que ce sont des choses dont il ne faut pas se flatter; que la France, craignant la guerre, évitera scrupuleusement le moindre pas qui pourrait la commettre avec l'Angletene; qu'elle parlera peut-être — mais trop tard, quand les autres agiront, et que, n'ayant déjà que trop donné à connaître sa faiblesse, elle fournira au roi d'Angleterre tous les moyens d'en profiter. En un mot, je ne compte pas dans toute cette affaire-ci sur la France; dans ces dernières années elle a presque toujours fait trop tard ce qu'elle devait faire, et peut-être n'ouvrira-t-elle véritablement les yeux sur sa propre situation que lorsqu'il n'en- sera plus temps. Réflexions que je ne fais cependant que pour votre seule direction, sans que vous en deviez faire remarquer quelque chose au marquis des Puyzieulx; mais il faut que vous me marquiez là-dessus vos sentiments, pour me dire jusqu'où je puis avoir raison et en quels points je puis m'être trompé.