3050. AU MINISTRE D'ÉTAT BARON DE MARDEFELD A BERLIN.
Potsdam, 8 mai 1748.
Les propositions que le chevalier Legge m'a faites, quand je lui parlais hier, ont été à peu près les mêmes dont il s'est déjà expliqué à vous.
Quant à mon inclusion au traité de paix générale et la garantie de tous mes États par toutes les puissances contractantes à laquelle l'Angleterre voudra s'employer, je lui ai dit que j'avais à prétendre de bon droit cette garantie, à laquelle l'Angleterre s'était engagée par le traité de paix de Dresde, vu que c'était principalement par cette considération que je m'étais prêté à faire la paix avec la reine de Hongrie. Que tout le monde savait avec qu'elle exactitude j'avais rempli toutes les conditions de cette paix, qu'il fallait bien que l'Angleterre commençât à son tour à remplir les conditions auxquelles elle s'était engagée.
Que personne n'ignorait la façon exacte avec laquelle j'avais gardé la neutralité promise de ma part par la paix de Dresde, qu'en conséquence de cette neutralité je ne m'étais point opposé à la marche du corps de troupes auxiliaires russes, quoique j'eusse eu assez de moyens pour y mettre des entraves, surtout à la Diète de l'Empire, où il ne m'aurait guère coûté de révolter tout l'Empire contre le passage des troupes susdites; mais que, par le motif de la neutralité que j'avais promise, je m'étais tenu tout coi.
Sur l'article de Final, sur lequel le chevalier Legge a fort insisté, je lui ai dit que je lui parlerais pour un moment non de souverain à ministre, mais de particulier à particulier, pour pouvoir lui expliquer d'autant plus nettement mes pensées là-dessus. En conséquence de cela je lui ai expliqué que j'étais obligé de convenir qu'au commencement de la guerre que j'avais été nécessité de faire à la reine de Hongrie, la France m'avait rendu service et qu'elle m'avait aidé par ses opérations de guerre à tirer raison de ladite Reine, et quoique la France m'eût assez abandonné pendant ma dernière guerre, j'avais cependant tout lieu de n'être pas tout-à-fait ingrat envers la France, et comme depuis la paix de Dresde j'avais tranquillement regardé la guerre, la France pourrait me charger avec raison de reproches d'ingratitude si je voulais à présent au congrès prendre hautement parti contre elle et la forcer à des conditions contraires à sa dignité. Je lui ai d'ailleurs détaillé au long toutes les raisons que la malheureuse république de Gênes avait eues de se jeter entre les bras de la France et de ses alliés, vu que par le traité de Worms on avait disposé contre tout droit des gens de ses possessions; que de plus cette République, depuis qu'elle s'était délivrée, d'une manière tout-à-fait miraculeuse, des Autrichiens, ayant été aidée et soutenue par la France jusqu'au moment présent, je donnais à penser à lui, Legge, si la France pouvait se résoudre à l'abandonner, à l'instant où la paix se ferait, et si je pouvais m'employer à obliger<101> la France de faire un acte si indigne d'elle. Que d'ailleurs cette prétention du roi de Sardaigne sur la ville de Final n'était fondée que sur le traité de Worms, traité dont je n'avais nul lieu d'être content, mais qui était assez contraire à mes intérêts, par la façon équivoque dont on s'y était expliqué dans les articles 3 et 11,101-1 ainsi que j'avais plutôt lieu de souhaiter qu'il ne fût plus du tout parlé du traité en question. Qu'il était vrai que le roi de Sardaigne avait à prétendre à justes titres qu'on l'indemnisât, et qu'il convenait même aux Anglais de lui faire des convenances pour le couvrir contre tous les attentats que la reine de Hongrie pensait de faire contre lui; mais que la bonne raison demandait que ces indemnisations du roi de Sardaigne se fissent aux dépens de la reine de Hongrie, et que le duché de Milan était assez à portée pour en faire les convenances dites audit Prince.
Le chevalier Legge n'a pu disconvenir de toutes ces raisons, quoiqu'il ne s'y soit pas tout-à-fait rendu et qu'il ait continué encore à appuyer sur cet article. Comme je lui parlerai encore aujourd'hui, je verrai de quelle manière il s'expliquera en outre là-dessus.
Sur ce qui regarde l'alliance étroite avec l'Angleterre que le chevalier Legge propose dès que la paix serait conclue, je lui ai dit que je m'y prêterais de bien bon cœur, d'abord que la paix serait faite, et que l'Angleterre pourrait alors compter que j'observerais le plus religieusement tout ce à quoi je m'engagerais avec l'Angleterre.
Qu'on se trompait extrêmement quand on m'accusait d'une trop forte prédilection pour la France, et que d'un autre côté j'avais pris en haine l'Angleterre ou le roi de la Grande-Bretagne et en particulier les intérêts d'Hanovre; que, pour lui en donner une preuve convaincante, je m'offrais, si le roi d'Angleterre souhaitait — comme tout je monde le disait — à faire sa convenance moyennant une cession de l'évêché d'Osnabrück ou de quelques lambeaux du Hildesheim, que je m'offrais, dis-je, à l'y aider et à y contribuer, et à lui garantir outre cela ces possessions, dès qu'on en serait convenu. Qu'au surplus, s'il y avait des convenances à faire pour le commerce des Anglais en Amérique et ailleurs, je m'emploierais de bon cœur pour les lui faire avoir, surtout puisqu'elles ne regardaient directement que l'Espagne.
Que d'ailleurs je voudrais de bien bon cœur porter les paroles de paix aux puissances intéressées au congrès d'Aix-la-Chapelle, pourvu qu'on ne prétendît rien de moi qui fût contraire à ma dignité et à l'honnêteté; que j'étais d'autant plus obligé à user de certains ménagements à l'égard de la France, qui depuis ma paix de Dresde m'avait sollicité plusieurs fois à rentrer dans son parti, jusqu'à me menacer d'être en état sans cela de s'accommoder avec la reine de Hongrie et de faire sa paix particulière avec elle; mais que je l'avais constamment refusé en lui déclarant que la neutralité à laquelle je<102> m'étais engagé par la paix de Dresde ne me permettait nullement de me mêler de la guerre presente. Qu'en conséquence donc, si je voulais à présent contrarier la France au congrès de paix et la forcer à se prêter à des conditions déshonorables pour elle, le chevalier Legge devait convenir lui-même que la France aurait raison de me décrier comme un prince double et faux sur lequel il n'y avait nul fond à faire; mais qu'il pouvait compter que, dès que la paix générale serait faite, la cour de Vienne commencerait à chipoter avec celle de Versailles, et qu'alors l'Angleterre pourrait compter sur moi comme sur son allié le plus fidèle, dès que nous serions convenus sur notre alliance réciproque.
Voici tout ce qui s'est passé dans l'entretien que j'ai eu hier avec le chevalier Legge. Comme je lui parlerai encore aujourd'hui, je vous manderai le reste, vous chargeant, en attendant, du secret le plus absolu sur tout ce que je viens de vous communiquer. Et sur ce, je prie Dieu etc.
Federic.
P. S.
Ayant été averti de différents endroits combien de mauvaises intentions le comte Gronsfeld a témoignées jusqu'ici contre moi dans les conversations particulières qu'il a tenues sur mon sujet, et que sa mauvaise volonté à mon égard va si loin que depuis l'arrivée du comte de Keyserlingk à Berlin et après tout ce temps-là il s'est mêlé de faire tout ce qui lui a été possible pour indisposer les ministres étrangers à ma cour contre moi et les remplir de défiances à mon égard, j'ai trouvé nécessaire que vous fassiez venir le comte de Gronsfeld chez vous et que vous lui disiez en particulier combien j'étais instruit de son mauvais procédé, et que j'avais d'autant plus lieu d'être surpris de sa conduite étrange que non seulement sa personne m'appartenait par le titre de sujet né et de vassal, mais qu'il était envoyé d'une puissance avec laquelle j'avais la satisfaction de vivre en bonne amitié et intelligence. Que je voudrais cependant oublier le passé, pourvu qu'il changeât de conduite et qu'il ne fît plus des démarches aussi préjudiciables à moi que contraires aux vues de son Prince et de ses maîtres. Mais que, si malgré cela il continuait à briguer contre moi, je ne saurais plus m'empêcher de demander son rappel, comme d'un ministre mal intentionné et point propre à entretenir la bonne harmonie et intelligence entre moi et sa République. Que ce serait en vain s'il voulait éluder les plaintes que j'avais contre lui, par des protestations du contraire et en niant le fait, que je savais à quoi me tenir là-dessus, et qu'il n'avait qu'à prendre son parti ou en faisant mieux à mon égard ou de s'attendre que je demandasse son rappel au Prince son souverain et à ses maîtres.
Federic.
Nach der Ausfertigung.
<103>101-1 Gemeint sind die Artikel 2 und 13. Vergl. Bd. III, 26. 37.