3199. AU CONSEILLER PRIVÉ DE GUERRE DE KLINGGRÆFFEN A HANOVRE.
Charlottenbourg, 10 août 1748.
Je suis très content du contenu de votre dépêche du 4 de ce mois, et je crois avec vous que la négociation entamée avec tant de chaleur et de contestations par le chevalier Legge est encore fort éloignée pour qu'on en puisse espérer un bon succès.
Je m'imagine être fondé à croire que les Anglais ne m'ont recherché que lorsqu'ils craignaient que la reine de Hongrie ne regimbeât aux préliminaires, pour s'accommoder en conséquence; mais qu'après que cette Princesse a pris le parti de se montrer facile sur l'accession auxdits préliminaires, l'Angleterre serait assez d'humeur, présentement, de me planter avec sa prétendue alliance.
Je veux bien vous dire à cet égard, quoique dans la plus grande confidence et avec défense très expresse que vous n'en donniez connaissance à personne, qui que ce puisse être, ni même que vous en fassiez mention dans vos dépêches au département des affaires étrangères, qu'il m'est revenu de très bon lieu que, le chevalier Legge s'étant abouché dernièrement avec les ministres de Russie et de Hollande et le secrétaire d'ambassade de la cour de Vienne, et ces derniers lui ayant demandé ce qu'il pensait des grands arrangements de guerre que je faisais de nouveau — qui cependant ne se fondent que sur des bruits mensongers, controuvés par lesdits ministres — le chevalier Legge doit leur avoir répondu qu'il leur avait beaucoup d'obligation de la confiance qu'ils lui témoignaient; que, quoiqu'il ne fût point encore à même, par le peu d'habitude qu'il avait ici, de juger par lui-même des intentions de la cour d'ici, cependant, pour leur témoigner sa confiance réciproque,<198> il voulait bien ne leur point cacher qu'il savait pour sûr et certain que j'avais été des plus mécontents de la signature imprévue des préliminaires, que je ne m'en étais même point caché à la cour de Versailles, et que, qui plus était, je ne discontinuais point de représenter à la France les prétendus avantages qui pourraient lui revenir de la continuation de la guerre; que le maréchal de Saxe, qui de son côté ne laissait que d'avoir du mécontentement des préliminaires, appuyait de tout son mieux mes représentations à sa cour, en tâchant de lui persuader qu'après la prise de Mastricht le renversement total de la République ne saurait guère être éloigné, et qu'alors on ne manquerait pas d'obtenir des conditions de paix bien plus avantageuses pourla France. Le chevalier Legge doit avoir continué par dire que, pour prévenir tout ce qui pourrait résulter de ce que dessus, il fallait, selon lui, se servir de deux moyens, dont le premier était d'accélérer l'ouvrage de la paix, pour empêcher, par sa prochaine conclusion, que mes pernicieux conseils et ceux du maréchal de Saxe ne puissent trouver assez de temps pour s'accréditer de façon à l'emporter ensuite sur toute autre considération ; qu'il faudrait instruire à cet effet le comte de Kaunitz de témoigner encore plus de facilité sur l'ouvrage de la pacification générale qu'il ne l'avait fait jusqu'ici. Que, quant au second moyen, il fallait du moins jusqu'à l'entière conclusion de la paix tâcher de m'empêcher à faire naître plus de difficultés qui pourraient mettre obstacle à la paix. Que c'était là où portaient les vues de sa cour, à lui, Legge, qu'elle n'ignorait pas qu'il n'y avait point de quoi se reposer sur moi, mais qu'elle savait à en être convaincue que, par le désir que j'avais de m'agrandir, je n'omettrais rien pour exciter constamment la France contre les alliés; que le roi d'Angleterre abhorrait ma façon de penser, qu'il était bien éloigné d'entrer dans de nouveaux engagements avec moi, qui ne seraient point de durée; que cependant ce Prince, pour l'amour de l'avantage de la cause commune, se voyait maintenant obligé à me ménager, pour empêcher de la sorte que je ne tâchasse d'animer la France à rompre les conférences et que je ne me liasse avec cette dernière, auquel cas la balance, nonobstant le secours des auxiliaires russes, ne manquerait pas de pencher du côté de la France. Que, pour ce qui était du bruit qui avait été répandu que l'Angleterre était intentionnée de se servir dorénavant de mon aide pour le maintien de l'équilibre en Europe, la cour de Vienne en avait été désabusée comme d'une chose qui n'était venue en pensée ni à la cour ni à la nation anglaise, par la persuasion dans laquelle on était en Angleterre qu'il me manquait assez de forces pour entreprendre et soutenir un ouvrage de pareille importance.
Voilà les discours que doit avoir tenus le chevalier Legge aux susdits ministres, à son retour d'Hanovre.
Vous voyez bien qu'ils diffèrent de beaucoup de ses sentiments d'autrefois, et il faut que ce soit à Hanovre qu'on ait pu lui donner de semblables idées.
<199>Je puis vous dire avec ouverture, quoiqu'en confidence, que tous les points sur lesquels doit s'être énoncé de la susdite manière le sieur Legge, sont absolument faux et contiennent des choses qui ne me sont jamais venues en pensée. J'en juge que peut-être la cour de Vienne, par l'habitude qu'elle s'est acquise de forger des mensonges et des faussetés, pour les donner ensuite pour choses vraies à d'autres, a fabriqué elle-même les imputations en question, lesquelles elle aura ensuite trouvé moyen de donner comme évangile au roi d'Angleterre et au duc de Newcastle, et que celui-ci en aura imposé conséquemment au sieur Legge.
Quoi qu'il en soit, j'ai bien voulu vous en avertir, afin que, sans vous faire observer le moins du monde, vous tâchiez de faire des découvertes là-dessus et d'approfondir ainsi davantage si en effet la façon de penser du roi d'Angleterre et du duc de Newcastle y a du rapport, et quelles peuvent être proprement leurs vues. Vous m'avertirez de ce que vous en saurez.
Au reste, le chevalier Legge n'a point encore donné de signe de vie après son retour ici; je ne m'en tiendrai pas moins tranquille pour cela à son égard, pour le voir venir.
Federic.
Nach dem Concept.