3265. A LA PRINCESSE ROYALE DE SUÈDE A STOCKHOLM.

Potsdam, 24 septembre 1748.

Ma chère Sœur. Comme Diestel aura l'honneur de vous rendre cette lettre en main propre, je vous épargnerai la peine de déchiffrer. Je vous envoie en même temps la copie d'une relation de Pétersbourg, où j'ai trouvé tant de bonnes choses, un raisonnement si simple et si vraisemblable, que j'aurais cru négliger quelque chose, si je ne vous l'avais pas communiquée. J'ai lu avec bien du plaisir, par votre chiffre du 13, que vous comprenez les conséquences qu'il y aurait à faire dans les circonstances présentes des démarches pour le changement du gouvernement. Tout l'art de la politique, ma très chère Sœur, consiste à plier ses desseins aux conjonctures, à l'emporter de haute lutte dans un temps et à temporiser dans un autre.

Il faut avouer que la situation présente de l'Europe ne favorise aucunement vos desseins. Quant à la France, elle est si sensible sur l'article de la paix qu'elle vient de faire, qu'il faut ménager sa délicatesse sur cet article autant qu'il est possible. Si cette puissance a négligé les intérêts de la Suède, c'est qu'elle ne pense qu'aux siens, et c'a toujours été la politique de la France de se servir de ses alliés pour parvenir à ses fins, de les flatter dans les besoins, et de les négliger tout-à-fait lorsqu'elle a cru ne pouvoir plus s'en servir. Si vous comptez sur un secours quelconque de ce côté-la, vous vous tromperez sûrement.

Pour ce qui regarde la Porte, il faudra, ce me semble, voir premièrement quel effet y produira le changement qui vient d'y arriver.242-1 J'ai ouï dire de beaucoup de personnes que les grands déserts qui séparent les Turcs et les Russes, faisaient, pour ainsi dire, des barrières qu'aucun de ces peuples ne peuvent franchir sans y trouver leur ruine. Un Mufti, un Grand-Visir peut être bien intentionné pour la Suède, mais il n'en suit pas qu'il entreprenne tout de suite une guerre en sa faveur.

Ces deux alliés, comme vous voyez, ne vous seront pas fort utiles.

Pour ce qui est de la reine de Hongrie, elle ne pense qu'à se faire un parti dans l'Empire, à affermir la couronne impériale dans sa maison, et à réformer ses finances, et dans les affaires du Nord la Russie a dessein de s'en servir comme d'un contrepoids pour me tenir en équilibre. Ce qu'il y a de plus dangereux dans le moment présent pour la Suède, c'est la Russie et le Danemark; ce sont deux dangereux voisins et qui, l'entamant des deux côtés, viendraient probablement à bout de la réduire. Il faut être attentif à toutes leurs démarches, ne les point mépriser, et faire bonne contenance au dehors, et, du reste, attendre tout des conjonctures.

<243>

Les 20,000 Russes passeront l'hiver en Bohême et ne retourneront chez eux qu'au mois de mars. Vous pouvez être persuadée que je vous ferai parvenir toutes les nouvelles que je recevrai, pour peu qu'elles soient relatives à vos affaires, et que personne ne prend plus de part que moi à tout ce qui vous regarde.

Aujourd'hui se feront les noces de ma nièce à Baireuth.243-1 Je souhaite d'apprendre bientôt de bonnes nouvelles de votre délivrance,243-2 me recommendant dans la continuation de votre précieuse amitié; j'espère, ma très chère Sœur, de n'en point être indigne et d'y mériter quelque part par les sentiments d'attachement, d'estime et de tendresse avec lesquels je suis inviolablement votre très fidèle frère et serviteur

Federic.

Précis d'une lettre de Pétersbourg.243-3

On avait parlé un peu trop ouvertement en Suède d'un changement dans la forme du gouvernement après la mort du Roi. La chose est parvenue à la cour de Pétersbourg à telles enseignes que cela fait actuellement ici le discours du public. Il n'y a pas heu de douter que le Grand-Chancelier, ennemi juré qu'il est du Prince Royal et des Suédois, n'ait déjà un plan tout formé pour susciter au nouveau Roi, dès son avènement au trône, tous les embarras imaginables, et pour le contrecarrer nommément dans tout ce qui pourrait conduire directement ou indirectement au rétablissement de la souveraineté, qui est peut-être la chose du monde la plus contraire aux intérêts de la Russie. J'ai même lieu de croire qu'on est après à se concerter là-dessus avec le Danemark, pour engager cette cour à faire de son côté les mêmes démonstrations qu'on se propose ici de faire, et qu'on commence déjà actuellement. Il se pourrait encore que le ministre de Russie eût ordre de faire d'abord après le décès du Roi et avant l'assemblée des États quelque déclaration menaçante contre tout changement dans la forme du gouvernement, ce qui ne manquerait pas d'être relevé par les mal intentionnés et pourrait faire un très mauvais effet dans un moment aussi critique.

Il importe extrêmement à la cour de Suède qu'elle s'oppose à de tels plans, qu'elle tâche à prévoir tous les cas possibles et qu'elle prenne de bonne heure les mesures les plus justes et le plus sages pour prévenir les inconvénients qui en pourraient résulter. Il serait à voir s'il ne conviendrait pas d'en toucher quelque chose dans les universaux que le nouveau Roi fera publier pour la Diète, pour tâcher de désabuser les esprits sur les fausses impressions qu'on s'efforce de leur faire donner; mais l'article essentiel, dans le cas d'un changement à faire, est surtout que la chose ne se fasse pas tumultueusement, qu'elle ne<244> traîne pas en longueur, et qu'elle n'ait pas le nom d'un changement dans les formes, pour couper court aux intrigues du chancelier Bestushew. Je dois ajouter à tout ceci que je vois qu'il se forme ici un orage contre les Suédois, qu'ils dissiperont facilement en prenant bien leurs précautions, mais qui pourrait avoir des suites fâcheuses, s'ils ne les prennent pas.


Nach Abschrift der Cabinetskanzlei. Der Précis nach dem Concept.



242-1 Es hatte sich das Gerücht von dem Sturze des Grossveziers Abdullah Pascha durch einen Janitscharenaufstand und seiner Ersetzung durch den Janitscharen-Aga verbreitet.

243-1 Vergl. Bd. II, 45. 147.

243-2 Die Entbindung der Kronprinzessin von dem Herzog Karl von Södermanland (nachmals König Karl XIII.) erfolgte am 7. October.

243-3 Vergl. Nr. 3266.