3543. AU CONSEILLER BARON LE CHAMBRIER A PARIS.

Potsdam, 15 mars 1749.

J'ai reçu à la fois vos dépêches du 28 du février dernier et du 3 de ce mois. Avant que d'entrer en matière sur ce qu'elles contiennent, je veux bien vous dire qu'il me fait de la peine quand je suis obligé de lire tout au long et presque de mot en mot dans vos dépêches la récapitulation de celles que je vous ai faites et qui ne me sortent pas si tôt de l'esprit comme il semble que vous le croyez, ainsi que je vous dispense à l'avenir de ce long détail de tout ce que vous avez dit par mon ordre aux ministres de France, étant assez convaincu de la dextérité et de la fidélité avec laquelle vous leur expliquez mes sentiments, et je demande qu'au lieu de cela vous ne citiez que sommairement le sujet de l'entretien que vous avez eu avec les ministres, que vous vous étendiez plus sur la réponse qu'ils vous auront donnée, en référant ce qu'ils vous disent, article sur article.

Quant au contenu de votre dépêche du 28 du mois dernier, je vous dirai que je me suis presque douté que les vigoureuses déclarations à faire de la part de la France aux cours de Londres et de Copenhague, que le marquis de Puyzieulx avait fait espérer au baron de Scheffer,434-2 ne se réaliseraient pas si facilement qu'on les avait fait attendre à ce dernier, mais qu'on changerait bientôt de sentiment làdessus; aussi vois-je, par tout ce que M. de Puyzieulx vous a dit, que je ne me suis point trompé dans les soupçons que j'ai eus à cet égard.

En attendant, vous direz à ce ministre que je réglerai principalement et entièrement mes démarches, par rapport aux affaires du Nord, à celles que la France ferait, et que je ne saurais faire ni plus ni moins, n'ayant d'autres engagements avec la Suède que la France l'avait. Vous ajouterez à cela que je ne saurais dissimuler à M. de Puyzieulx que la dernière guerre que j'avais eue, avait fort épuisé mes finances, et que tout ce que je pourrais faire pour la Suède dans ces circonstances, était, premièrement, de tâcher de déhorter les agresseurs de la Suède et de<435> faire en sorte, par mes remontrances, qu'ils n'exécutaient pas leurs projets contre elle, et, en second lieu, de donner en argent à la Suède le secours stipulé dans le traité, quoique cela encore ne laisse pas de me bien embarrasser, et que ce soit absolument tout ce que je pourrais faire, vu les arrangements que je vois que mes voisins font actuellement; car la Russie assemble deux corps d'armée, l'un de 30,000 hommes en Livonie, et l'autre aussi de 30,000 hommes en Esthonie; d'ailleurs les Autrichiens vont former trois corps d'armée, l'un dans la Moravie, l'autre auprès de Neustadt, et le troisième proche du pays de Zips en Hongrie aux frontières de la Pologne, chaque corps de 30,000 hommes, à ce qui m'est revenu à ce sujet. Lé premier de ces corps sera commandé par le prince de Liechtenstein, qui aura sous lui le comte de Schulenburg, et tous deux font travailler avec tant d'empressement à leurs équipages de campagne comme s'ils voulaient dès demain commencer leurs opérations. Outre cela, le ministre de Russie à ma cour vient de donner à entendre assez intelligiblement que les arrangements militaires que je faisais actuellement, n'embarrasseraient guère sa cour, puisque non seulement elle pourrait compter sur ses propres forces, mais encore sur celles des Autrichiens, sur celles de la Saxe et sur celles des Polonais; qu'en conséquence de toutes ces circonstances-là j'étais persuadé que M. de Puyzieulx ne saurait point être surpris si je cherchais à me tenir clos et hors du jeu, prévoyant bien que, si les choses restaient dans la situation où ils étaient, elles ne pourraient avoir qu'une funeste fin, et que j'avais d'autant moins envie de m'y engager plus en avant que notre traité avec la Suède le demandait au pied de la lettre; que c'était tout ce que je pouvais faire, et qu'on ne.saurait prétendre de moi de faire des choses qui surpassent mes forces et que je ne suis nullement en état de faire.

Au surplus, c'est encore un mystère indéchiffrable que le traité que les deux cours impériales et l'Angleterre ont fait entre elles; l'on m'a fait espérer que je l'aurai, ce que j'attends encore, et en ce cas-là je ne laisserai pas de vous le communiquer d'abord.

Pour ce qui concerne le contenu de votre dépêche du 3 de ce mois, vous devez dire au marquis de Puyzieulx que j'irai de concert avec la France par rapport à un accommodement à faire entre la Suède et le Danemark et que je donnerai mes ordres à mes ministres à Stockholm et à Copenhague de faire les mêmes insinuations que la France trouvera convenable de faire faire par ses ministres sur ce sujet, et de seconder ceux-ci en tout ce dont ils seront chargés; que je ne voudrais point dissimuler à M. de Puyzieulx que, si l'on pouvait espérer de réussir dans cet accommodement et conjurer par là l'orage, je conseillerais au prince-successeur de Suède de faire un sacrifice du Holstein, parcequ'en cédant aux circonstances, il n'en perdrait jamais tant qu'il avait à risquer s'il s'opiniâtrait. Mais ce que je crains surtout, c'est que le Danemark n'ait déjà tant lié sa partie avec la Russie, l'Autriche et l'Angleterre<436> qu'il ne puisse plus reculer. En attendant, il serait toujours bon que la France fit toutes les tentatives possibles pour parvenir à cet accommodement, où de mon côté je tâcherai de la seconder de tout mon mieux. Mais que les circonstances et le danger pressant exigeaient qu'on fit sans le moindre délai ce que l'on voudrait faire à cet égard.

Federic.

Nach dem Concept.



434-2 Vergl. S. 400. 418. 433.