3582. AU CONSEILLER BARON LE CHAMBRIER A PARIS.

Potsdam, 4 avril 1749.

J'ai bien reçu la dépêche que vous m'avez faite le 24 du mois passé de mars. Ayant à la fin réussi d'avoir entre mes mains un précis fidèle et exact de ce traité secret dont je vous ai fait mention dans mes précédentes et qui a été arrêté et signé à Moscou le 7 du février de cette année-ci entre l'impératrice de Russie et l'impératrice-reine de Hongrie, j'ai bien voulu vous le communiquer, quoique sous le sceau du dernier secret, et vous l'envoyer à la suite de celle-ci en clair et sans le faire chiffrer, pour vous le faire tenir d'autant plus exactement et de mot en mot, tel que je l'ai reçu moi-même.470-2 Ma volonté est que vous devez tâcher à présent d'avoir un entretien secret avec le marquis de Puyzieulx, où, après l'avoir conjuré de vous vouloir garder un secret impénétrable sur tout ce que vous lui direz de ma part, vous lui ferez lire ce précis-là, en l'assurant qu'il m'était entré de trop bon heu pour qu'on ne pourrait fermement tabler là-dessus. Si, après l'avoir lu, il veut en tirer une copie, je veux bien permettre que vous vous y prêtiez, quoiqu'après avoir tiré de lui sa parole d'honnête homme qu'il<471> ne voudra laisser voir ni lire cette copie ni en communiquer quelque chose à aucun des autres ministres de France ni à qui que ce soit hormis à Sa Majesté Très Chrétienne seule; aussi M. de Puyzieulx conviendra combien il m'importe qu'il n'en éclate pas la moindre chose, et qu'une indiscrétion me ferait perdre absolument le canal d'où j'ai tiré une découverte de cette importance.

Vous direz à cette occasion, par un compliment bien flatteur de ma part, au marquis de Puyzieulx combien j'avais lieu d'admirer sa façon de penser juste sur les affaires en ce qu'il avait si solidement pénétré ce que je n'avais appris présentement qu'à des frais et des dépenses assez considérables que j'avais été obligé d'y employer; que je lui savais d'ailleurs beaucoup de gré de ce qu'il avait bien voulu avoir tant d'attention à la conservation de la tranquillité du Nord et contribuer aux déclarations que Sa Majesté Très Chrétienne avait fait faire à ce sujet aux cours de Londres et de Copenhague, et qui, selon ce qui en paraissait, n'avaient pas été sans succès.

Vous lui direz d'ailleurs que pour ce qui concernait les affaires de Courlande,471-1 il s'en fallait beaucoup que j'en sois mêlé en aucune manière ni que je m'en mêlerais jamais, et pourvu que les deux cours impériales ne voulussent point agir offensivement contre la Suède ni renverser l'ordre de succession y établi, le reste me serait bien indifférent, ainsi qu'on pourrait espérer que cet orage qui avait paru tant menacer le Nord, se pourrait dissiper encore sans venir à des éclats, quoique je ne doutasse pas que lui, M. de Puyzieulx, eût très bien rencontré quand il vous avait dit que pendant toute cette année les choses pourraient rester comme elles sont.

Après tout cela, vous lui direz encore que, comme l'homme d'affaires de la cour de Danemark à la mienne venait de déclarer depuis quelques jours à mes ministres que le Roi son maître avait résolu de m'envoyer un ministre de qualité, je voudrais bien confier à lui, M. de Puyzieulx, l'intention où j'étais de tâcher, quand ce ministre serait arrivé et que j'y verrais jour, de faire une alliance défensive avec le Danemark, quand même je devrais lui garantir la possession du duché de Sleswig et promettre mes bons offices à ce que les différends entre le Danemark et le prince-successeur de Suède au sujet de la succession éventuelle au Holstein fussent amiablement réglés. Que je croyais faire un coup de partie par là pour la Suède, en lui faisant avoir un ennemi de moins, et la rassurer de la crainte où elle était justement de se voir assaillie de front et en dos en même temps.

Outre cette confidence, je veux bien ajouter encore celle-ci que le ministre de la cour de Turin à la Haye, le comte de Chavannes, a glissé dernièrement, quoique seulement par manière de discours, à mon ministre y résidant que, puisque le Roi son maître était dans le même cas que moi avec la reine de Hongrie à l'égard des cessions qu'elle<472> avait été obligée à nous faire et qu'elle voudrait bien nous escamoter à la première occasion favorable, il lui semblait qu'il était de notre convenance de nous lier mutuellement là-dessus par quelque traité défensif, pour tenir d'autant plus en respect la reine de Hongrie à ce qu'elle n'osât pas troubler aisément la tranquillité rétablie de l'Europe. Comme j'ai fait entendre là-dessus au comte de Chavannes que j'étais assez disposé à entrer dans des liaisons avec le Roi son maître à cet égard, et que j'ai d'ailleurs heu de présumer qu'une semblable liaison ne saurait pas déplaire à la France, vous devez en sonder le marquis de Puyzieulx, en lui faisant part, d'une manière que vous croirez la plus convenable, de ces pourparlers.

Au reste, vous ne laisserez pas de me faire un rapport assez détaillé sur tout ce que dessus et de me l'envoyer immédiatement par le même courrier qui vous aura apporté cette dépêche, sans que vous en envoyiez des doubles à ma cour.

Federic.

Nach dem Concept.



470-2 Die Beilage liegt nicht vor. Die dem Könige zugegangene Mittheilung beruhte auf unzutreffender Information.

471-1 Vergl. S. 476.