5377. AU PRINCE DE PRUSSE A BERLIN.

[Potsdam, mars 1752].

Ah! mon cher frère, quand une fois l'on est mort, il est bien question de savoir si l'on aurait pu vivre. Le pauvre milord65-1 aurait ri, s'il l'avait pu, au nez de ses disséqueurs, en voyant son foie dans la main de l'un, ses poumons dans celle d'un autre, et entendant toutes les absurdités que la faculté débite dans ces occasions. Pour moi, j'ai défendu qu'on doive m'ouvrir après ma mort; c'est bien assez de fournir matière de plaisanter au public pendant sa vie, et c'en est trop que de lui donner la comédie aux dépens de sa rate, de son foie et de ses poumons. Mes cavalcades ne m'ont pas servi de grande chose; j'ai des coliques tous les soirs et les nuits plus fortes encore; j'étage un vieux bâtiment qui tombe en ruines, et, quand je travaille au toit, le fondement s'écroule. Pour vous, mon cher frère, qui êtes dans la vigueur de votre âge, sain, gaillard, vigoureux, c'est à vous de profiter de la vie qui n'a que des charmes pour vous, c'est à vous de cueillir des fleurs, et à moi des épines; mais c'est bien la peine de vous le dire, vous le sentez vous-même. Je me contente d'y ajouter que personne n'y prend plus de part que moi et qu'aucun bonheur ne saurait vous arriver dont je ne me réjouisse autant que vous. Ce sont des sentiments vrais avec lesquels je suis à jamais, mon cher frère, votre fidèle frère et serviteur

Federic.

Nach der Ausfertigung. Eigenhändig.

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65-1 Vergl. S. 63.