5504. AU LORD MARÉCHAL D'ÉCOSSE A PARIS.
Potsdam, 30 juin 1752.
Mes ministres du département des affaires étrangères viennent de me mander que le sieur Le Baillif, ayant reçu avant-hier un courrier de sa cour, leur avait communiqué un extrait que cet exprès, qui avait pris la route d'Hanovre, lui avait apporté avec une lettre du sieur de Vergennes dont vous trouverez ci-close la copie chiffrée de votre chiffre ordinaire, de laquelle vous ne ferez cependant nul autre usage que pour votre direction seule, sans faire semblant que vous êtes en possession de cette copie.
L'une et l'autre de ces dépêches portent en substance que — pour dissiper l'illusion que la cour d'Hanovre s'était faite sur une prétendue promesse de la France, comme si son concours à l'élection d'un roi des Romains précèderait la satisfaction des ses alliés — cette couronne avait fait déclarer qu'elle n'y consentirait pas, à moins que l'Électeur palatin ne fût contenté et qu'on n'eût observé avec les autres Électeurs les égards qui leur étaient dus. Que comme du depuis la cour d'Hanovre avait employé l'artifice de vouloir persuader celle de Manheim que la France avait remis le sort de ses prétentions à la médiation du roi d'Angleterre, Sa Majesté Très Chrétienne avait ordonné à son ministre à Hanovre d'y renouveler la déclaration susmentionnée, d'en faire part aux ministres de Mayence et de Trêves et de leur représenter les dangers auxquels ils exposeraient la tranquillité de l'Empire par une élection précipitée.
Le sieur de Vergennes s'en est acquitté; le duc de Newcastle l'a écouté avec un sang-froid qui n'a marqué que trop que ce ministre avait pris son parti. Il a remis à lui répondre jusqu'après l'arrivée du courrier qu'il attendait de Vienne, s'étant seulement récrié contre la démarche de la cour palatine, laquelle, faisant monter ses prétentions à dix-neuf millions de florins, ne semblait chercher par là qu'à embarrasser l'affaire et à la tirer en longueur.
Le ministre de France marque ensuite que ledit courrier autrichien était arrivé à Hanovre; qu'outre la défaite dont le ministère impérial se<147> servait toujours de n'avoir pas encore examiné le mémoire du baron de Beckers, il avait apporté l'approbation la plus étendue aux mesures d'Hanovre pour avancer l'élection, avec les modèles des lettres circulaires pour la convocation de la Diète électorale, dont l'assemblée était fixée à la fin du mois de septembre prochain.
Le sieur de Vergennes fait à cette occasion la réflexion que cet arrangement faisait voir suffisamment combien on était éloigné à Hanovre de s'en tenir à la teneur de la déclaration que les Anglais avaient faite au duc de Mirepoix147-1 avant le départ du roi d'Angleterre pour ses États d'Allemagne; que vraisemblablement on ne l'avait donnée que dans la vue de tromper la France et de la détourner de son attention sur cet objet, et que ce qui le confirmait dans ces sentiments, c'était un avis qui lui était revenu qu'il avait été résolu dans un grand conseil tenu à Londres, avant le départ du roi d'Angleterre, que l'Angleterre, ayant une pluralité eminente, devait peu s'embarrasser de concilier les Électeurs opposants; qu'il serait inutile de vouloir satisfaire l'Électeur palatin, puisque cette satisfaction tirerait l'affaire en longueur, et que la France ne s'opposerait pas moins dans six ans qu'aujourd'hui au succès de l'élection, au lieu qu'on ne risquerait rien de passer outre dans ce moment présent, où cette puissance n'était pas en état de faire la guerre et que je n'oserais rien faire indépendamment d'elle; qu'il conviendrait cependant d'entretenir préalablement la négociation jusqu'au mois d'août ou de septembre, de donner de bonnes paroles au sujet de la satisfaction due à l'Électeur palatin, lui offrir Pleistein147-2 avec la somme de 400,000 florins d'Hollande — offre que le duc de Newcastle a effectivement faite au sieur de Vergennes — et, sur le refus qui en serait fait, consommer l'élection malgré l'opposition de la France et de moi.
Voilà le tableau que le sieur de Vergennes vient de faire de la position présente de l'affaire de l'élection, que le baron de Wrede, ministre palatin à Hanovre, vient de confirmer par une lettre qu'il a faite à mon ministre, comte Podewils, se rapportant aux nouvelles que le ministre de France en donnerait. Celui-ci n'attend que les dernières résolutions de la cour d'Hanovre, pour expédier tout de suite un Courier à sa cour, et il paraît se flatter que les projets des partisans de l'élection pourraient bien s'évanouir, si la cour de Bavière persistait dans la déclaration qu'elle vient de prescrire au comte de Haslang qu'elle jugeait convenable et même nécessaire de se procurer l'accession de l'Electeur palatin et de lui donner satisfaction en lui cédant Falkenstein.
Comme le sieur Le Baillif, en faisant part à mes ministres de ces nouvelles, leur a fait connaître qu'il serait charmé que je le fisse instruire là-dessus de mes sentiments et de ce que je trouverais bon d'être communiqué au marquis de Saint-Contest ou au sieur de Vergennes, je viens<148> d'ordonner à mes ministres148-1 de lui répondre que je trouvais la situation de ces affaires assez sérieuse et embarrassante et que j'en communiquerais avec vous, pour que vous vous expliquiez là-dessus avec M. de Saint-Contest; que les réflexions que je faisais en attendant étaient, qu'après que la France et moi nous nous étions avancés si loin que d'avoir publiquement déclaré que nous ne donnerions notre concours à l'élection qu'après que l'Électeur palatin aurait eu une juste satisfaction de ses prétentions, c'était une affaire que nous devions soutenir. Qu'en conséquence il ne resterait à la France que deux moyens, dont le premier était de faire, soit par corruption soit par quelque autre voie — car dans le cas dont il s'agissait tous les moyens étaient indifférents — que l'électeur de Bavière rentrât tout-à-fait avec nous, afin de gagner, moyennant lui, une espèce d'égalité de nombre des voix dans le Collège Électoral; que l'autre des deux moyens était d'empêcher à main forte et armée les partisans de l'élection, si, sans faire attention à nos remontrances, ils voulaient procéder outre et passer à l'élection par la majorité des voix.
Qu'entre ces deux moyens, je comptais le premier pour le plus convénient; car, outre qu'une corruption ne coûte jamais en argent ce qu'une guerre demande en dépenses, et que le désir de la France et de moi n'est autre que d'amener les choses à un accommodement, je tiens l'électeur de Bavière le plus aisé à attirer à nous, et, quand une fois nous serons d'accord avec lui, nous gagnerons par là une espèce d'égalité des voix dans la Diète électorale d'élection, en sorte que, moyennant ma voix, celles des Électeurs palatin et de Cologne, unies avec celle de Bavière, nous ferons quatre, et il serait bien facile alors de ramener les choses à un accommodement.
Que, si malgré tout cela le parti opposé voulait passer à la consommation de l'élection indépendamment de l'opposition de la France et des Électeurs ses amis et alliés, j'estimais qu'alors les quatre Électeurs fassent une protestation solennelle contre toutes les mesures que les partisans de l'élection prendraient contraires aux constitutions de l'Empire, que nous tâchions de mettre de notre parti les Princes les plus puissants de l'Empire, et que nous retirions tous nos ministres plénipotentiaires à la Diète, en déclarant que nous ne reconnaîtrions aucune conclusion de la Diète pour bonne et valable, à moins que le résultat n'y<149> fût pris unanimement et de concert commun. Que je croyais d'ailleurs que ce serait alors le moment le plus convenable de travailler à cette confédération avec les Princes les plus puissants de l'Empire à laquelle on a pensé ci-devant en France.149-1
Voilà en gros ce que j'ai fait répondre par mes ministres au sieur de Baillif, en ajoutant que ce serait à présent à la France de voir ce qu'elle en estimait être le plus convenable, et qu'il fallait bien qu'elle s'expliquât là-dessus et sur quel ton elle voudrait s'expliquer. Ce que j'ai bien voulu vous communiquer, afin d'en faire part à M. de Contest et de le prier de vouloir s'expliquer avec vous là-dessus, pour vous mettre en état de m'en faire au plus tôt votre rapport et de m'informer des mesures que j'aurai à prendre.
S'il arrivait que ce ministre vous fît l'objection que le temps pourrait être trop court pour arrêter tout ce qu'il faudrait avec l'Électeur palatin, vous lui ferez observer qu'il restait les mois de juillet et d'août encore pour amener cette négociation à sa perfection, pourvu qu'il y fût mis de la diligence et qu'on ne s'arrêtât trop à conclure le marché.
Au surplus, vous ferez en même temps réfléchir M. de Saint-Contest sur la nécessité indispensable qu'il y avait dans ces conjonctures critiques d'attacher à la France tout ce qu'il y avait de Princes puissants dans l'Empire, et combien il lui importerait donc d'avoir la cour de Cassel à sa disposition. Que je n'attendais ainsi que de savoir précisément de M. de Contest jusqu'où la France voudrait que j'allasse làdessus avec le Landgrave touchant les subsides149-2 et par rapport aux autres conditions à régler avec lui, en sorte que, si cette affaire nous réussit encore, nous aurions au moins pour nous tout ce qu'il y avait de Princes séculiers des plus considérables dans l'Empire, pour répremir les attentats de ceux qui voudraient renverser sa constitution. J'attends votre rapport sur tout ceci, que vous ne manquerez pas de me faire le plus circonstancié et intéressant que vous pourrez, pour qu'il puisse me servir de direction dans une conjoncture aussi critique et scabreuse que celle dont il s'agit.
Federic.
P. S.
Vous observez encore bien que vous ne ferez toutes les insinuations que je vous ai ordonnées ci-dessus à M. de Saint-Contest, que de la manière la plus douce, qui semble plutôt vouloir demander leur conseil que de leur imposer des avis,149-3 en sorte que la délicatesse des ministres français n'en soit pas blessée; c'est aussi en conséquence que vous lui direz que ce que je venais de lui proposer, n'était au fond que des idées que j'avais prises sur ce que la cour de France m'avait autrefois fait marquer à ce sujet.
Nach dem Concept.
<150>147-1 Vergl. S. 92.
147-2 Vergl. S. 89.
148-1 Die dem Grafen Podewils am 29. Juni durch Eichel übermittelte Königliche Weisung in deutscher Sprache ist in dem französischen Texte des obigen Erlasses an den Gesandten in Paris fast wörtlich wiedergegeben. Hinzugefügt ist die Mittheilung: „Sonsten wären Se. Königl. Majestät zufrieden, dass man dem mainzischen und andern churfürstlichen Ministris gleiche Declaration machte wie Frankreich gethan hätte, sich wohl in Acht zu nehmen und nichts zu präcipitiren was eine Désunion im Reich und Suites nach sich ziehen könnte; dergleichen Declaration aber in sehr mesurirten Terminis und zugleich auf solche Art geschehen müsste, damit der Gegentheil nichts daraus sehen noch einmal merken könne, was man thäte und was man vor Mesures nehmen wollte.“
149-1 Vergl. Bd. VIII, 245. 246. 255.
149-2 Vergl. S. 142.
149-3 Vergl. S. 18.