5615. AU DÉPARTEMENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES.
[Mémoire à remettre au ministère anglais par le secrétaire Michell.]
[Potsdam, 3 octobre 1752].225-2
C'est par ordre du Roi son maître que le soussigné secrétaire d'ambassade de Sa Majesté le roi de Prusse est obligé de rappeler à<226> Vos Excellences les pressantes sollicitations que lui et ses prédécesseurs ont faites à diverses reprises pour obtenir de votre équité et de votre justice les dédommagements que des négociants prussiens ont à demander, pour les indemniser des violences et des déprédations qu'ils ont souffertes de quelques armateurs anglais pendant la dernière guerre. Vos Excellences se souviendront qu'on a enlevé les vaisseaux à ces marchands, qu'on a ravi les effets des uns et détenu ceux des autres, et, quoiqu'on ait mis en évidence qu'aucun de ces marchands ne faisait la contrebande, les négociants prussiens n'ont pu obtenir jusqu'à présent aucune justice ni des tribunaux anglais qu'ils ont réclamés, ni du gouvernement, auquel ils ont porté leurs plaintes; par une contradiction singulière, sans raisons, sans même des prétextes specieux, on a condamné les propriétaires et adjugé la capture au profit des armateurs.226-1
Les lois de l'équité doivent sans doute être égales pour toutes les nations; un Anglais doit s'attendre à trouver un asile à Berlin dans la justice des tribunaux contre la violence des citoyens, de même qu'un Prussien doit en trouver à Londres contre des procédés illégitimes. C'est sur ce principe que se fonde la bonne foi et le commerce mutuel des peuples, c'est sur ces principes que les négociants de l'Europe trafiquent chez leurs voisins et que la nation anglaise y fait un commerce si avantageux; tous les peuples regardent ces liens d'équité comme quelque chose de sacré et d'inviolable et ils les respectent chez eux pour en recevoir le bénéfice chez les autres, s'ils se trouvent dans la nécessité d'y recourir.
Sa Majesté a cru que, chez une nation pleine de sentiments aussi nobles et aussi généreux que l'anglaise, elle obtiendrait sans difficulté pour ses sujets la satisfaction qui leur était due, et Vos Excellences se ressouviendront qu'en cas de refus on ne leur a point dissimulé que Sa Majesté le roi de Prusse se verrait obligé, quoiqu'à regret, de saisir les capitaux hypothéqués aux Anglais sur le duché de Silésie, d'autant plus qu'elle ne pouvait autrement indemniser ses sujets.
Les intentions du Roi mon maître sont pures; il a voulu satisfaire avec bonne foi aux engagements qu'il a pris avec la nation anglaise et acquitter les dettes qui étaient à sa charge, mais il a voulu en même temps donner à ses sujets la protection qu'il leur doit. Pour ne rien précipiter dans une affaire de cette nature et pour donner au gouvernement anglais le temps de la réflexion, il a continué d'acquitter les dettes de la Silésie jusqu'au payement du dernier terme, et lorsqu'il a vu que l'équité de ses demandes, le temps, les raisons et des importunités<227> réitérées, ne produisaient rien en faveur des négociants prussiens, le Roi s'est cru obligé de recourir au dernier moyen qui lui restait, qui était de défalquer de l'argent dû aux Anglais la somme que ses sujets demandaient en dédommagement.
La même loi qui nous oblige de nous acquitter avec bonne foi de nos dettes, nous autorise à exiger la même chose de nos débiteurs; quelle jurisprudence singulière règlerait tout en faveur de l'un et rien en faveur de l'autre? Dans cette affaire ici, il ne s'agit pas même de ce qui est dû par les Anglais aux Prussiens, mais de ce qui leur est retenu par force; s'il est juste d'acquitter ses dettes, il est encore davantage de réparer le dommage que l'on a causé par sa faute et de dessein prémédité. Après des raisons aussi fortes, après avoir en vain demandé des réparations de ceux qui seuls pouvaient les faire, peut-on prétendre, sous quelque couleur que ce soit, que le Roi abandonne ses sujets, et le pourrait-il, quand même il le voudrait? Il doit le dernier terme de payement aux Anglais, il le retient, et, après avoir averti le gouvernement britannique dans toutes les occasions de ce qu'il ne pourra se dispenser de faire, il établit une commission pour juger avec impartialité et à la rigueur les prétentions des négociants prussiens; il met à la tête de cette commission un homme qu'il suffit de nommer pour sanctifier l'ouvrage : le Grand-Chancelier, trois ministres d'État227-1 et plusieurs conseillers de justice ont examiné les prétentions des marchands et les ont évaluées à leur juste valeur.
Cette commission ayant terminé cette affaire, le soussigné a l'honneur de remettre ci-clos à Vos Excellences la copie des jugements rendus sur les différentes prétentions des sujets prussiens, sur celle de chaque négociant séparément, dont il résulte que de 239,840 écus que ces négociants leur croient être dus, la commission ne leur a adjugé que 156,486 écus227-2 20 gros de capital et 33,283 écus d'intérêt, à raison de 6 pour cent.
Quoique Sa Majesté a tout lieu d'être persuadée que ladite commission a procédé selon les formes de la justice la plus impartiale, elle a néanmoins chargé le soussigné de déclarer, par le présent mémoire, qu'elle est disposée de faire examiner de nouveau par la même commission les faits contestés, au cas que quelques officiers ou armateurs anglais — qui se croient lésés — jugeassent à propos d'y intervenir et de faire réformer le jugement, supposé que les moyens de l'adverse Partie se trouvassent fondés. Le Roi fixe pour l'exhibition de ces moyens le terme de trois mois à compter du jour de cette déclaration.
Comme la liste des différentes captures attachée à ce mémoire contient les noms de ceux qui les ont faites, Sa Majesté s'en remet au bon plaisir du gouvernement britannique de quelle manière il trouvera<228> à propos d'informer les parties de l'arrêt prononcé, afin qu'ils se puissent pourvoir contre, comme de droit. Si cependant ce terme s'écoule, sans que personne ne se mette en devoir de se justifier, Sa Majesté s'en tiendra à l'arrêt de son conseil, et en conséquence elle fera défalquer la somme adjugée à ses sujets — y compris les intérêts à 6 pour cent jusqu'au 10 de juillet de l'année courante — elle fera défalquer, disje, de l'argent dû aux Anglais 194,725 écus de Brandebourg, 4 gros et 5 deniers, pour indemniser les négociants prussiens. Sa Majesté déclare en même temps qu'elle est prête à faire remettre aux commissaires du prêt fait sur la Silésie le résidu de ce qu'elle doit encore à ce titre, tant pour le capital que pour les intérêts à 7 pour cent écoulés le 10 de juillet de la présente année, bien attendu que lesdits commissaires fournissent des quittances valables du capital et des intérêts.
Au cas que, contre toute attente, on refusât en Angleterre d'entrer dans un arrangement aussi équitable, je dois déclarer à Vos Excellences que le Roi fera remettre juridiquement cette somme à sa chambre de justice de Berlin, pour y rester en dépôt jusqu'au temps qu'il plaise aux intéressés de l'en retirer au moyen de leurs quittances, et, comme le cours des intérêts cesse naturellement après cette procédure, Sa Majesté proteste expressément de n'y plus être tenue dorénavant, et moyennant cette protestation authentique elle tient la dette hypothéquée sur la Silésie entièrement éteinte et ce duché pleinement déchargé, à cet égard, de toute obligation.
Nach dem eigenhändigen Concept, Umarbeitung des von dem Departement der auswärtigen Affairen vorgelegten Entwurfes. Der Cabinetssecretär schreibt am 3. October an den Grafen Podewils, dass des Königs Majestät vor gut befunden habe, „das eingesandte Projet zum Mémoire vor den p. Michell allerhöchst Selbst ganz zu refondiren.“
225-2 Die Uebersendung an Michell erfolgte nach Vornahme der unter dem Text vermerkten Aenderungen am 7. October, die Uebergabe der Erklärung durch Michell am 23. November 1752.
226-1 Statt der durch den Druck hervorgehobenen Stelle steht in dem am 7. October 1752 an Michell abgegangenen Texte der abzugebenden Erklärung: Et que par une contradiction singulière, lors même que ces tribunaux n'ont point trouvé de prétexte pour confisquer les vaisseaux et les effets, et que par conséquent ils ontre connu euxmêmes l'injustice de la prise, ils n'ont pas laissé, sans raison ni prétexte spécieux, de condamner les propriétaires aux frais de la capture au profit des armateurs.
227-1 Vergl. S. 175. 199.
227-2 In der Vorlage verschrieben für 159,486, wie in dem an Michell abgesandten Texte corrigirt worden ist.