<143>saient plutôt l'effet du hasard, que celui d'un choix judicieux : ses domestiques faisaient leur fortune, lorsqu'ils avaient souffert des premières saillies de son emportement; il donna un fief de quarante mille écus à un chasseur qui lui fit tirer un cerf de haute ramure. La bizarrerie de sa dépense ne frappe jamais plus vivement, que lorsqu'on en compare la totalité avec celle de ses revenus, et qu'on ne fait de toute sa vie qu'un seul tableau; on est alors étonné de voir des parties d'un corps gigantesque à côté de membres desséchés qui périssent. Ce prince voulut engager ses domaines de la principauté de Halberstadt aux Hollandais, afin d'acheter le fameux Pitt, brillant dont Louis XV fit l'acquisition du temps de la régence; et il vendait vingt mille hommes aux alliés, pour avoir le nom d'en entretenir trente mille. Sa cour était comme une grande rivière qui absorbe l'eau de tous les petits ruisseaux : ses favoris regorgeaient de ses libéralités, et ses profusions coûtaient chaque jour des sommes immenses, tandis que la Prusse et la Lithuanie étaient abandonnées à la famine et à la contagion, sans que ce monarque généreux daignât les secourir : un prince avare est pour ses peuples comme un médecin qui laisse étouffer un malade dans son sang; le prodigue est comme celui qui le tue à force de le saigner.
Frédéric Ier n'eut jamais d'inclinations constantes, soit qu'il se repentît de son mauvais choix, soit qu'il n'eût point d'indulgence pour les faiblesses humaines : depuis le baron de Danckelman jusqu'au comte de Wartenberg, ses favoris eurent tous une fin malheureuse.
Son esprit faible et superstitieux avait un attachement singulier pour le calvinisme, auquel il aurait voulu ramener toutes les autres religions : il est à croire qu'il aurait été persécuteur, si les prêtres se fussent avisés de joindre des cérémonies aux persécutions; il composa un livre de prières, que pour son honneur on n'imprima pas.a
a On ne connaît aucun livre de prières composé par Frédéric Ier; il existe seulement une pièce détachée, qui a pour titre : Ein Königliches Gebet, welches Seine Königliche Majestät Friedrich, der erste christliche König in Preussen, am dritten Tage nach Dero Krönung und Salbung selbst gemacht, und eigenhändig aufgesetzt, auf allergnädigsten Befehl wieder aufgeleget. (Prière royale, que sa majesté royale Frédéric, premier roi chrétien de Prusse, a composée lui-même trois jours après son couronnement et son sacre, et écrite de sa propre main; publiée de nouveau par son très-gracieux commandement.) 1708, 14 pages in-8.