<244>Nous ne présentons au lecteur, dans cet ouvrage, qu'un choix des traits les plus frappants et les plus caractéristiques du génie des Brandebourgeois en chaque siècle; mais quelle différence entre ces siècles! Des nations qu'un océan immense sépare, et qui habitent sous les tropiques opposés, ne diffèrent pas plus dans leurs usages, que les Brandebourgeois d'eux-mêmes, si nous les comparons du temps de Tacite au temps de Henri l'Oiseleur, ceux de Henri l'Oiseleur à ceux de Jean le Cicéron, et enfin ceux-là aux habitants de l'Électorat sous Frédéric Ier, roi de Prusse.
Le grand nombre des hommes, distrait par la variété infinie des objets, regarde sans réflexion la lanterne magique de ce monde; il s'aperçoit aussi peu des changements successifs qui se font dans les usages, que l'on passe légèrement, dans une grande ville, sur ces ravages que la mort y fait journellement, pourvu quelle y épargne le petit cercle de personnes avec lesquelles on est le plus lié : cependant, après une courte absence, on trouve à son retour d'autres habitants et des modes nouvelles.
Qu'il est instructif et beau de passer en revue tous les siècles qui ont été avant nous, et de voir par quel enchaînement ils tiennent à nos temps! Prendre une nation dans la stupidité grossière, la suivre dans ses progrès, et la conduire jusqu'au temps qu'elle s'est civilisée, c'est étudier dans toutes ses métamorphoses le ver à soie devenu chrysalide et enfin papillon. Mais que cette étude est humiliante! Il ne paraît que trop qu'une loi immuable de la nature oblige les hommes à passer par bien des impertinences, pour arriver à quelque chose de raisonnable. Remontons aux origines des nations, nous les trouverons également barbares : les unes sont arrivées par une allure lente et par bien des détours, à un certain degré de perfection; les autres y sont parvenues par un essor rapide; toutes ont tenu des routes différentes; et encore la politesse, l'industrie et tous les arts, ont-ils pris, dans les différents pays où ils ont été transplantés, un