<245> goût de terroir, qu'ils ont reçu du caractère indélébile de chaque nation. Ceci se fera sentir davantage, si nous lisons des ouvrages écrits à Padoue, à Londres ou à Paris : ils se distingueront sans peine, quand même les auteurs y traiteraient la même matière; je n'en excepte que la géométrie.
La variété inépuisable que la nature jette dans ces caractères généraux et particuliers, est une marque de son abondance, mais en même temps de son économie : car, quoique tant de nations innombrables qui couvrent la terre aient chacune leur génie différent, il semble cependant que certains grands traits, qui les distinguent des autres, sont inaltérables; tout peuple a un caractère à soi, qui peut être modifié par le plus ou le moins d'éducation qu'il reçoit, mais dont le fond ne s'efface jamais. Nous pourrions facilement appuyer cette opinion sur des preuves physiques; mais il ne faut pas nous écarter de notre sujet. Il s'ensuit donc que les princes n'ont jamais totalement changé la façon de penser des peuples; qu'ils n'ont jamais pu forcer la nature à produire des grands hommes, lorsqu'elle s'y refusait. Quoique le travail des mines soit soumis à leurs ordres, les veines fécondes ne le sont pas; elles s'ouvrent tout à coup en fournissant des richesses abondantes, et se perdent dans le temps qu'on les poursuit avec le plus d'avidité. Quiconque a lu Tacite et César, reconnaîtra encore les Allemands, les Français et les Anglais, aux couleurs dont ils les peignent; dix-huit siècles n'ont pu les effacer : comment donc un règne pourrait-il effectuer ce que tant de siècles n'ont pu faire? Un statuaire peut tailler un morceau de bois dans la forme qu'il lui plaît : il en fera un Ésope ou un Antinoüs; mais il ne changera jamais la nature inhérente du bois; certains vices dominants et certaines vertus resteront toujours à chaque peuple. Si donc les Romains nous paraissent plus vertueux sous les Antonins que sous les Tibères, c'est que les crimes étaient sévèrement punis; le vice n'osait lever sa tête impure; mais les vicieux n'en subsistaient pas