<85> des projets de campagne qui n'étaient point militaires, et ils prétendaient mener les généraux par la lisière, dans une carrière où il faut voler pour la remplir. A Versailles, des ministres qui savaient que le détail des expéditions militaires n'était pas leur fort, s'en tenaient aux idées générales des projets de campagne, et croyaient les Condé et les Turenne d'assez grands hommes pour s'en rapporter à eux sur la manière de les exécuter.21 Les généraux français, presque souverains dans leurs armées, s'abandonnaient à la libre impulsion de leur génie; ils profitaient de l'occasion lorsqu'elle se présentait, au lieu que les ennemis la perdaient souvent par l'envoi de courriers qui demandaient à l'Empereur la permission d'entreprendre des choses qui n'étaient plus faisables à leur retour.
L'Empereur, qui dans ses armées décorait l'Électeur de la représentation, ne mettait sa confiance qu'en ses propres généraux : de là vint que Montécuculi fit manquer les projets de la campagne de 1672, et que Bournonville fut cause des malheurs qu'on éprouva en Alsace. Le conseil de Vienne, qui n'était point sur les lieux, intimidé par la perte des batailles de Seneffe, de Sinzheim et de Holzheim, pensait que l'Allemagne serait perdue s'il risquait la quatrième; ajoutons à cela la mésintelligence des généraux de l'Empereur : et ces raisons prises ensemble firent que Frédéric-Guillaume ne parut jamais aussi admirable à la tête des Impériaux qu'à la tête de ses propres troupes.
Pendant que Turenne assurait les frontières de la France par son habileté, le conseil de Louis XIV travaillait à le débarrasser d'un ennemi dangereux; et, afin de séparer Frédéric-Guillaume des Impériaux, la France lui suscita une diversion qui le rappela dans ses propres États.
Quoiqu'en 1673 la Suède eût fait une alliance défensive avec l'Élec-
21 Le cardinal de Richelieu montrant un jour sur une carte l'endroit où Bernard de Weimar devait passer une rivière, le général allemand lui donna sèchement sur les doigts, et lui dit : « M. le cardinal, votre doigt n'est pas un pont. »