FRÉDÉRIC-GUILLAUME SECOND ROI DE PRUSSE.
Frédéric-Guillaume était né à Berlin le 15 d'août145-a de l'année 1688, comme nous l'avons dit, de Frédéric Ier, roi de Prusse, et de Sophie-Charlotte, princesse de Hanovre. Son règne commença sous les auspices favorables de la paix. Cette paix fut conclue à Utrecht, entre la France, l'Espagne, l'Angleterre, la Hollande, et la plupart des princes de l'Allemagne. Frédéric-Guillaume obtint que Louis XIV reconnût sa royauté, la souveraineté de la principauté de Neufchâtel, et qu'il lui garantît le pays de Gueldre et de Kessel, en forme de dédommagement de la principauté d'Orange, à laquelle il renonça pour lui et pour ses descendants. La France et l'Espagne lui accordèrent en même temps le titre de Majesté, qu'elles ont refusé encore longtemps aux rois de Danemark et de Sardaigne.
Après le rétablissement de la paix, toute l'attention du Roi se tourna sur l'intérieur du gouvernement. Il travailla au rétablissement de l'ordre dans les finances, la police, la justice et le militaire, parties qui avaient été également négligées sous le règne précédent. Il avait<146> une âme laborieuse dans un corps robuste; jamais homme ne fut né avec un esprit aussi capable de détails. S'il descendait jusqu'aux plus petites choses, c'est qu'il était persuadé que leur multiplicité fait les grandes. Il ramenait tout son ouvrage au tableau général de sa politique, et travaillant à donner le dernier degré de perfection aux parties, c'était pour perfectionner le tout.
Il retrancha toutes les dépenses inutiles, et boucha les canaux de la profusion, par lesquels son père avait détourné les secours de l'abondance publique à des usages vains et superflus. La cour se ressentit la première de cette réforme; il ne conserva qu'un nombre de personnes nécessaires à sa dignité ou utiles à l'État : de cent chambellans qu'avait eus son père, il en resta douze; les autres prirent le parti des armes ou devinrent des négociateurs. Il réduisit sa propre dépense à une somme modique, disant qu'un prince doit être économe du sang et du bien de ses sujets. C'était, à cet égard, un philosophe sur le trône, bien différent de ces savants qui font consister leur science stérile dans la spéculation des matières abstraites qui semblent se dérober à nos connaissances. Il donnait l'exemple d'une austérité et d'une frugalité dignes des premiers temps de la république romaine : ennemi du faste et des dehors imposants de la royauté, sa stoïque vertu ne lui permettait pas même les commodités les moins recherchées de la vie. Des mœurs aussi simples, une frugalité aussi grande, formaient un contraste parfait avec la hauteur et la profusion de Frédéric Ier.
Les objets politiques que ce prince se proposait par ses arrangements intérieurs, étaient de se rendre formidable à ses voisins par l'entretien d'une armée nombreuse. L'exemple de George-Guillaume lui avait appris combien il était dangereux de ne pouvoir pas se défendre; et celui de Frédéric Ier, dont les troupes étaient moins à ce prince qu'aux alliés qui les payaient, lui avait fait connaître qu'un souverain n'est respecté, qu'autant qu'il se rend redoutable par sa<147> puissance. Lassé des humiliations que tantôt les Suédois et tantôt les Russes donnèrent à Frédéric Ier, dont ils traversaient impunément les États, il voulut protéger efficacement ses peuples contre l'inquiétude de ses voisins, et se mettre en même temps en état de soutenir ses droits sur la succession de Berg, qui allait être ouverte à la mort de l'Électeur palatin, dernier prince de la maison de Neubourg. Quoique le public soit dans la prévention que le projet d'un gouvernement militaire ne venait pas du Roi même, mais qu'il lui avait été suggéré par le prince d'Anhalt, nous n'avons point adopté cette opinion, à cause qu'elle est erronnée, et qu'un esprit aussi transcendant que l'était celui de Frédéric-Guillaume, pénétrait et saisissait les plus grands objets, et connaissait mieux les intérêts de l'État qu'aucun de ses ministres ni de ses généraux.
Si des hasards peuvent faire naître les plus grandes idées, nous pouvons dire que des officiers anglais donnèrent lieu à Frédéric-Guillaume de former les projets qu'il exécuta dans la suite. Ce prince fit dans sa jeunesse les campagnes de Flandre, et comme il assistait au siége de Tournai, il trouva deux généraux anglais qui disputaient vivement ensemble : l'un soutenait que le roi de Prusse aurait de la peine à payer quinze mille hommes sans subsides, et l'autre soutenait qu'il en pouvait entretenir vingt mille. Le jeune prince, tout en feu, leur dit : « le roi mon père en entretiendra trente mille lorsqu'il le voudra. » Les Anglais prirent cette réponse pour la saillie d'un jeune homme ambitieux, qui relevait avec exagération les avantages de sa patrie; mais Frédéric-Guillaume, parvenu au trône, prouva plus qu'il n'avait avancé, et la bonne administration de ses finances fit que, dès la première année de son règne, il entretint cinquante mille hommes, sans qu'aucune puissance lui payât des subsides.
La paix d'Utrecht, qui avait apaisé en partie les troubles qui agitaient le Sud, n'empêchait pas que la guerre ne continuât dans le Nord, entre Charles XII, qui était encore prisonnier à Adrianople, et<148> le Czar, le roi Auguste, et Frédéric IV de Danemark, qui s'étaient ligués contre lui.
Frédéric-Guillaume ne voulait point se mêler des troubles du Nord; et, à l'exemple de son père, il observa une exacte neutralité. La situation avantageuse dans laquelle il se trouvait, le nombre de ses troupes, et le besoin que l'on avait de son assistance, le firent rechercher des deux partis. Il voyait que la nature et le voisinage de cette guerre l'obligerait tôt ou tard de s'en mêler : mais il ne perdait rien pour attendre, et peut-être voulut-il voir de quel côté tournerait la fortune, avant que de prendre des engagements qui le lieraient dans la suite.
Cette fatalité, que le vulgaire appelle hasard, les théologiens, prédestination, et dont les sages rejettent la cause sur l'imprudence des hommes, cette fatalité, dis-je, s'opiniâtrait encore également à persécuter Charles XII. Tandis que ce roi perdait son temps à cabaler contre le Czar à Constantinople, son général Stenbock, qui avait exercé des cruautés inouïes sur les malheureux habitants d'Altona, se retira à Tönningen à l'approche des Moscovites et des Saxons. Son dessein était d'y passer l'Eyder sur la glace : son malheur voulut qu'il survint un dégel inopiné; manquant de pont pour passer, et se trouvant entouré des ennemis, il fut contraint de se rendre prisonnier avec les douze mille hommes qu'il commandait.
La perte de ces troupes, et l'ignominie que leur reddition imprimait aux armes suédoises, ne furent que des avant-coureurs de plus grands malheurs qui menaçaient ce royaume. La mauvaise conduite de ce général rejaillit principalement sur la Poméranie suédoise. Les armées moscovites et saxonnes, qui n'avaient plus d'ennemis en tête, se préparaient déjà à entrer dans cette province, qui allait de nouveau devenir le théâtre de la guerre : dans cette appréhension, le duc administrateur de Holstein, et le général Wellingk, gouverneur de la Poméranie, proposèrent au Roi de lui remettre la Poméranie<149> suédoise en séquestre. Leur embarras était d'autant plus grand, qu'ils manquaient de troupes pour défendre cette province; et ils eurent recours à ce remède désespéré, par la haine qu'ils portaient aux Moscovites, qui les aveuglait si fort sur les intérêts de leur maître, qu'ils auraient plutôt vu passer la Poméranie entière sous la domination prussienne, qu'un seul village sous le pouvoir du Czar.
Le Roi, qui regardait les propositions de l'Administrateur et de Wellingk comme très-avantageuses, se prêta avec plaisir au séquestre de la Poméranie, se flattant que ce serait le moyen de maintenir la paix dans cette province voisine de ses États. Vingt mille Prussiens se mirent incessamment en marche, et se campèrent sur les frontières de la Poméranie, en même temps que Bassewitz, ministre du duc de Holstein, accompagné du général Arnim, que le Roi y avait envoyé, se rendit à Stettin, et ordonna, au nom de Wellingk, à Meyerfeld, qui était gouverneur de cette place, de la remettre aux Prussiens. Meyerfeld, qui connaissait la façon de penser de son maître, refusa d'obéir, et demanda du temps pour qu'il pût recevoir de la régence de Stockholm des instructions positives sur la conduite qu'il devait tenir. La désobéissance de Meyerfeld était un témoignage authentique de ce que Wellingk avait trop présumé de son autorité, et que sa précipitation l'avait engagé, dans toute cette affaire, plus avant qu'il ne le devait et qu'il n'en avait le pouvoir. Le Roi qui ne s'était chargé de ce séquestre que par complaisance, s'en désista sans témoigner le moindre ressentiment. Il retira aussitôt ses troupes, abandonnant la Poméranie au sort des événements. Il était plus glorieux aux Suédois de perdre la Poméranie en combattant, que de la conserver à la faveur du séquestre.
Menschikoff, qui avait désarmé Stenbock en Holstein, vint fondre sur la Poméranie, à la tète des Moscovites et des Saxons. Il mit d'abord le siége devant Stettin. Cette ville, qu'il fit bombarder, et qu'il pressait vivement, fut dans peu de jours réduite aux abois. Bassewitz,<150> Wellingk et Meyerfeld crurent encore bien servir Charles XII en remettant cette place entre les mains du Roi : on y fit entrer deux mille Prussiens et un bataillon de troupes de Holstein, qui en composèrent la garnison.
Les alliés consentirent à ce séquestre, à condition que le Roi empêcherait les Suédois de pénétrer de la Poméranie en Pologne, de même que cette république s'engagea de son côté à maintenir la neutralité; et pour lever les scrupules qui pouvaient rester aux alliés sur cette affaire, le Roi leur paya quatre cent mille écus. Il donna une seigneurie150-a et une bague de grand prix à Menschikoff, qui aurait peut-être vendu son maître, si le Roi avait voulu l'acheter. De pâtissier, Menschikoff était parvenu à devenir premier ministre et généralissime du Czar. Lui et toute cette nation étaient si barbares, qu'il ne se trouvait dans cette langue aucune expression qui signifiât l'honneur et la bonne foi.
Charles XII et le roi de Danemark, celui de Pologne et l'Empereur, étaient également mécontents de ce séquestre : le roi de Suède, parce qu'il voyait bien qu'il perdait la Poméranie, ou qu'il aurait le roi de Prusse pour ennemi, lui qui en avait déjà tant. Le roi de Danemark et le roi de Pologne s'étaient proposé, à la vérité, de dépouiller Charles XII de ses provinces : pleins de cet unique objet de leur vengeance, ils n'avaient point réglé le partage de leur conquête, et ils voyaient avec envie que le séquestre mît le roi de Prusse en possession de la Poméranie; moyennant quoi, il retirait tout le fruit de la guerre, sans en avoir partagé avec eux les hasards.
L'Empereur, chassé de l'Espagne, et soutenant seul une guerre malheureuse contre la France, avait l'esprit aigri de ses mauvais succès, et voyait avec chagrin que Frédéric-Guillaume fît des acquisitions, quand il ne faisait que des pertes. Cependant la place était livrée, l'argent payé, Menschikoff corrompu, et de plus le roi de Prusse était<151> un prince qui s'était rendu formidable. Ces raisons obligèrent ses voisins d'étouffer leur jalousie, et de continuer à ménager Frédéric-Guillaume.
Le roi de Suède écrivit au roi de Prusse, du fond de la Bessarabie, qu'il protestait contre la conduite de Wellingk; qu'il ne rembourserait jamais les quatre cent mille écus payés à ses ennemis, et qu'il ne souscrirait de sa vie au séquestre. Quelque dur que fût le procédé de Charles XII, le Roi, conjointement avec l'Empereur, prit les mesures les plus convenables pour le rétablissement de la paix. Ces deux princes proposèrent d'assembler un congrès à Brunswic; mais ils échouèrent contre l'opiniâtreté du roi de Suède, et contre les haines du Czar et du roi de Pologne, qui avaient appris dans l'école de Charles XII à ne point mettre de bornes aux sentiments de leur vengeance.
Pendant que la discorde régnait dans le Nord, Frédéric-Guillaume fit l'acquisition de la baronnie de Limbourg.151-28 Frédéric Ier en avait reçu l'expectative de l'Empereur, en faveur de la cession de la principauté de Schwiebus.
Dans le Sud, Philippe V régnait déjà paisiblement en Espagne; et Victor Amédée, duc de Savoie, reconnu roi de Sicile par la paix d'Utrecht, s'était fait couronner à Palerme, malgré les menaces de l'Empereur et les cris du Pape. Louis XIV, qui venait de faire sa paix avec la plus grande partie de l'Europe, pressait vivement Charles VI, que son obstination roidissait contre la paix. Dans le cours de cette campagne, Villars prit Landau et Philippsbourg,151-a sans que l'habileté du prince Eugène pût s'y opposer.
L'Empereur soutenait cette guerre plutôt par orgueil que par raison : trop faible par lui-même pour résister à Louis XIV, ses troupes étaient fondues, ses ressources, épuisées; et la bourse des puissances<152> maritimes était fermée pour lui. Le mauvais succès de cette campagne, et la crainte d'un avenir plus malheureux, firent connaître à l'Empereur que, sans force, l'arrogance est vaine, et qu'il y a une politique pour tous les temps, qui cale les voiles dans la tempête, et les déploie lorsque le vent est favorable. La hauteur autrichienne plia pour cette fois sous la nécessité.
Eugène et Villars se rendirent à Rastadt dans le marquisat de Bade; ils convinrent entre eux des préliminaires, ce qui achemina l'ouverture du congrès de Bade en Suisse, où la paix fut signée le 7 de septembre. L'Empereur céda Landau à la France; il reconnut Philippe V, et renonça à ses prétentions sur le royaume d'Espagne. Louis XIV restitua les conquêtes qu'il avait faites au delà du Rhin; il promit de raser les fortifications d'Huningue, et de ne point troubler l'Empereur dans la possession du royaume de Naples, du Milanais et du Mantouan; il reconnut le neuvième électorat; et l'on convint de régler, par un traité particulier, ce qui restait à discuter touchant la barrière de Flandre.
Dans ce temps mourut la reine d'Angleterre, après une maladie longue et cruelle. Quelques-uns de ses ministres avaient fait d'inutiles efforts pour appeler le Prétendant à sa succession. George de Hanovre, petit-fils de la princesse palatine, fille de Jacques Ier, fut proclamé roi d'Angleterre, et porté sur ce trône par les vœux de toute cette nation. C'est ce prince que nous avons vu gouverner l'Angleterre en respectant la liberté, se servant des subsides que lui accordait le parlement, pour le corrompre; roi sans faste, politique sans fausseté, et qui s'attira par sa conduite la confiance de toute l'Europe.
Après avoir parlé des affaires du Sud, il est temps de revenir au Nord, où la complication des événements embrouillait les choses plus que jamais. Charles XII, lassé de cette opiniâtreté sans exemple qui le retenait au lit à Démotica, toujours résolu d'exciter la Porte contre le Czar, tandis que ses ennemis, profitant de son absence,<153> détruisaient ses armées et lui enlevaient ses plus riches provinces, Charles XII, dis-je, passa subitement, et sans admettre de nuances, de cette inactivité aux plus rudes travaux. Il partit de Démotica,153-a faisant une diligence prodigieuse; et, traversant à cheval les États héréditaires de l'Empereur, la Franconie et le Mecklenbourg, il arriva le onzième jour à Stralsund, lorsqu'on l'y attendait le moins.
Sa première démarche fut de protester contre le séquestre de Stettin, et de déclarer que n'ayant signé aucune convention, il n'était point obligé de reconnaître celle que ses généraux avaient faite en son absence. Avec un caractère comme celui de ce prince, il n'y avait d'autres arguments que ceux de la force : Frédéric-Guillaume fit avertir Charles XII qu'il ne souffrirait point que les Suédois entrassent en Saxe, et il fit en même temps avancer un corps considérable de troupes auprès de Stettin. Le peu d'attention que les Suédois semblaient faire à ces remontrances, obligea le Roi d'entrer dans l'alliance des Russes, des Saxons et des Hanovriens, afin de maintenir ses engagements contre l'opiniâtreté de Charles XII. Ce monarque s'empara d'Anclam, de Wolgast et de Greifswald, où il y avait garnison prussienne; cependant, par un reste de ménagement, il renvoya ces troupes sans leur faire de violence. Mais la modération de ce caractère violent n'était que passagère : au commencement de la campagne suivante, les Suédois délogèrent les Prussiens de l'île d'Usedom, et firent prisonniers de guerre un détachement de cinq cents hommes. Ils rompirent par cette hostilité la neutralité des Prussiens, et devinrent les agresseurs. Le Roi, jaloux de sa gloire, fut irrité du procédé des Suédois. Quoiqu'il eût peine à digérer, dans ce premier moment, l'affront qu'on lui faisait, il ne put s'empêcher de s'écrier : « Ah! faut-il qu'un roi que j'estime me contraigne à devenir son<154> ennemi! » Flemming se trouvait alors à Berlin; c'était le même qui, par ses intrigues, avait rendu son maître roi de Pologne, et qui fut cause qu'on le détrôna, par l'imprudente conduite qu'il tint comme général.
Flemming apprenant l'infraction que les Suédois venaient de faire à la neutralité, se rendit d'abord chez le Roi, et profita si bien des premiers moments de son emportement, qu'il le poussa à l'heure même à déclarer la guerre à Charles XII.
Dès le mois de juin, vingt mille Prussiens joignirent les Saxons et les Danois en Poméranie. Le Roi se rendit à Stettin, où, après avoir fait désarmer le bataillon de troupes de Holstein qui y était en garnison, il fit prêter le serment de fidélité à la bourgeoisie; et de là il vint en personne se mettre à la tête de son armée.
L'Europe vit alors un roi qui se trouvait assiégé par deux rois en personne : mais ce roi, c'était Charles XII, à la tête de quinze mille Suédois aguerris et amoureux jusqu'à l'idolâtrie de l'héroïsme de leur prince; de plus, sa grande réputation et les préjugés de l'univers combattaient encore pour lui. Dans l'armée des alliés, le roi de Prusse examinait les projets, décidait des opérations, et persuadait aux Danois de s'y prêter. Le roi de Danemark, mauvais soldat et peu militaire, ne s'était rendu au siége de Stralsund, que dans l'espérance d'y jouir du spectacle de Charles XII humilié. Sous ces deux rois, le prince d'Anhalt était l'âme de toutes les opérations militaires. C'était un homme d'un caractère violent et entier; vif, mais sage dans ses entreprises, qui, avec la valeur d'un héros, avait l'expérience des plus belles campagnes du prince Eugène. Ses mœurs étaient féroces, son ambition démesurée; savant dans l'art des siéges, heureux guerrier, mauvais citoyen, et capable de toutes les entreprises des Marius et des Sylla, si la fortune avait favorisé son ambition de même que celle de ces Romains. Les généraux danois étaient des fanfarons, et leurs ministres, des pédants.
<155>Cette armée, composée comme nous venons de le dire, vint mettre le siége devant Stralsund. Cette ville est assise au bord de la mer Baltique : la flotte suédoise pouvait la rafraîchir de vivres, de munitions et de troupes. Son assiette est forte : un marais impraticable défend les deux tiers de sa circonférence; le seul côté dont elle est accessible, était défendu par un bon retranchement, qui du septentrion prenait au bord de la mer, et allait s'appuyer, à l'orient, au marais dont nous avons parlé. Dans ce retranchement campaient douze mille Suédois, et Charles XII à leur tête. Le nombre d'obstacles qu'il y avait à vaincre, obligea les assiégeants à les lever successivement.
Le premier point était d'éloigner la flotte suédoise des côtes de la Poméranie, afin de priver Charles XII de toutes les sortes de secours qu'il pouvait attendre de la Suède. Le roi de Danemark ne voulait point risquer un combat avec l'escadre qu'il avait dans ces parages; et ce préalable du siége devint une affaire de négociation. Il est aussi facile de prouver à un homme clairvoyant la nécessité d'une chose par de bonnes raisons, qu'il est, pour ainsi dire, impossible de faire sentir l'évidence à un esprit borné, qui se défie de soi-même, et qui craint que les autres ne l'égarent. Cependant l'ascendant que le génie du roi de Prusse avait sur celui du roi de Danemark, força en quelque manière ce prince à voir la victoire que son amiral remporta sur l'escadre suédoise. Les deux rois furent spectateurs de ce combat, qui se donna à une lieue des côtes; et la mer devint libre aux alliés. Les Prussiens, commandés par le général Arnim, firent ensuite une descente sur l'île d'Usedom, d'où ils chassèrent les Suédois, et prirent le fort de Peenemünde, l'épée à la main.
Après que cet obstacle fut levé, on se prépara à l'attaque du retranchement. Pour le malheur des Suédois, il se trouva un officier prussien qui facilita cette entreprise, la plus difficile et la plus déci<156>sive de tout le siége. Cet officier s'appelait Gaudi.156-a Il se ressouvint que, dans le temps qu'il faisait ses humanités au collége de Stralsund, il s'était souvent baigné dans ce bras de mer, qui n'était ni profond ni fangeux, proche du retranchement. Pour plus de sûreté, il le sonda de nuit, et trouva qu'on y pouvait passer à gué, tourner le retranchement par sa gauche, et prendre les ennemis en flanc et à dos.
Ce projet fut heureusement exécuté : on attaqua les Suédois de nuit; tandis qu'un corps marchait droit au retranchement, un autre passait la mer proche du rivage, et se trouva dans leur camp avant même qu'ils s'en aperçussent. La surprise d'une attaque inopinée, la confusion qui est inséparable de toutes les affaires de nuit, et surtout le corps considérable qui leur tombait en flanc, les mit promptement en déroute; ils abandonnèrent leur retranchement, et se sauvèrent vers la ville. Charles XII, au désespoir d'être abandonné de ses troupes, voulut combattre seul. Ses généraux ne le sauvèrent qu'à peine de la poursuite des assiégeants; tout ce qui ne gagna pas promptement Stralsund, fut tué ou fait prisonnier. Le nombre de ceux qu'on prit ce jour-là passait quatre cents hommes.
Pour resserrer entièrement la ville, il fut résolu de se rendre maître de l'île de Rügen, d'où les assiégés pouvaient encore tirer quelque secours. Le prince d'Anhalt, à la tête de vingt mille hommes, passa, sur des vaisseaux de transport, le bras de mer qui sépare la<157> Poméranie de cette île. Cette flotte conservait l'ordre de bataille que les troupes observent sur terre. On fit mine d'aborder à l'île du côté de l'orient; mais, tournant tout d'un coup à gauche, le prince d'Anhalt débarqua ses troupes au petit port de Stresow, où l'ennemi ne l'attendait point. Il se posta en quart de cercle, de sorte que ses deux ailes étaient appuyées à la mer; il fit travailler avec beaucoup de diligence à des retranchements, qu'il fortifia de chevaux de frise. Sa disposition était telle, que deux lignes d'infanterie soutenaient le retranchement; la cavalerie formait la troisième, à l'exception de six escadrons, qu'il avait postés au dehors de ses lignes, afin d'être à portée de tomber sur le flanc gauche de ceux qui pourraient venir l'attaquer de ce côté-là.
Charles XII, trompé par la feinte du prince d'Anhalt, ne put arriver à temps pour s'opposer à son débarquement. Connaissant l'importance de cette île, quoiqu'il n'eût que quatre mille hommes, il s'avança de nuit vers le prince d'Anhalt, tant pour lui cacher le petit nombre de ses troupes, que dans l'espérance de le surprendre. Il marchait à pied, l'épée à la main, à la tête de son infanterie, qu'il conduisit jusqu'au bord du fossé. Il arracha de ses propres mains les chevaux de frise qui le bordaient; il fut blessé légèrement dans cette attaque, et le général Düring, tué à ses côtés.
L'inégalité du nombre, l'obscurité de la nuit, l'effort de ces six escadrons prussiens qui tombèrent sur le flanc des Suédois, les obstacles d'un retranchement garni de chevaux de frise, et surtout la blessure du Roi, toutes ces raisons, dis-je, firent perdre aux Suédois les fruits de leur valeur. La fortune avait tourné le dos à cette nation; tout s'acheminait à son déclin.
Le Roi, blessé, se retira pour se faire panser; ses troupes, rebutées, s'enfuirent; le lendemain douze cents Suédois furent laits prisonniers à la Fahrschanze; et l'île de Rügen fut entièrement occupée par les alliés. On donna beaucoup de regrets à la mémoire du brave colonel<158> Wartensleben,158-a qui fut tué à la tête des gendarmes prussiens, après avoir contribué en grande partie à la défaite des Suédois.
Après cette infortune, Charles XII abandonna l'île de Rügen, et repassa à Stralsund. Cette ville était presque réduite aux abois : les assiégeants, parvenus à la contrescarpe, commençaient déjà à construire leur galerie sur le fossé principal. Le caractère du roi de Suède était de se roidir contre les revers; il voulait s'opiniâtrer contre la fortune, et défendre en personne la brèche, à laquelle les assiégeants allaient donner un assaut général. Ses généraux se jetèrent à ses pieds, pour le conjurer de ne pas s'exposer aussi inutilement; et voyant qu'ils ne pouvaient pas le fléchir par les prières, ils lui firent voir le danger qu'il courrait de tomber entre les mains de ses ennemis. Cette appréhension le détermina enfin à abandonner cette ville : il s'embarqua sur une légère nacelle, avec laquelle il passa, à la faveur de la nuit, au milieu de la flotte danoise qui bloquait le port de Stralsund, et il gagna avec peine le bord d'un de ses vaisseaux, qui le transporta en Suède. Quatorze années auparavant, il était parti de ce royaume comme un conquérant qui allait assujettir le monde à sa fortune, et il y revint alors comme un fugitif, poursuivi par ses ennemis, dépouillé de ses plus belles provinces, et abandonné de son armée.
Dès que le roi de Suède fut parti, la ville de Stralsund ne songea qu'à se rendre; la garnison capitula le 27158-b de décembre. Le général Dücker, qui en était gouverneur, envoya au quartier du roi de Prusse, pour traiter des articles de la capitulation. La garnison se rendit prisonnière de guerre; et deux bataillons prussiens, autant de Saxons, et autant de Hanovriens, prirent possession de cette ville.<159> De tous les Suédois faits prisonniers dans le cours de cette campagne le Roi forma un nouveau régiment d'infanterie, qu'il donna au prince Léopold d'Anhalt, second fils de celui qui commandait ses armées.
Ensuite de cette expédition, les vainqueurs se partagèrent les dépouilles des vaincus : le Roi conserva cette partie de la Poméranie qui est située entre l'Oder et la Peene, petite rivière, qui sort du Mecklenbourg, et qui va se jeter dans la mer à Peenemünde; la Poméranie située entre la Peene et le duché de Mecklenbourg, fut restituée à la Suède par la paix de Stockholm; et George, roi d'Angleterre, acheta les duchés de Brême et de Verden, que le roi de Danemark avait conquis sur la Suède, et que la maison de Hanovre possède encore de nos jours.
Quoique la paix ne fût pas encore conclue, le Roi jouissait déjà tranquillement de ses conquêtes; il alla en Prusse, où il ne se fit point couronner.159-a Il pensait que cette cérémonie vaine convenait mieux à des royaumes électifs qu'à des royaumes héréditaires. En méprisant tous les dehors de la royauté, il n'en était que plus attaché à en remplir les véritables devoirs. Il parcourut la Prusse et la Lithuanie, et il fit le projet de rétablir ces provinces de la misère et du dépeuplement que la peste y avait occasionnés.
Pour ne point interrompre l'enchaînement des faits, nous avons rapporté de suite les événements principaux de la campagne de Poméranie il est temps de voir à présent les changements qui arrivèrent pendant cette guerre dans le reste de l'Europe, et comment les combinaisons politiques des puissances, venant à s'altérer, donnèrent lieu à de nouveaux systèmes.
La mort de Louis XIV fit prendre au gouvernement de la France une face toute nouvelle. De la nombreuse postérité de ce monarque il ne restait que son arrière-petit-fils. Ce prince était au berceau; son<160> bisaïeul avait établi son fils légitimé, le duc du Maine, président du conseil de la régence. Ce roi, si absolu pendant sa vie, fut mal obéi après sa mort : le parlement jugea entre le duc d'Orléans et le duc du Maine, ou, pour mieux dire, il s'érigea en arbitre de la dernière volonté du feu roi, et décida que Philippe d'Orléans, premier prince du sang, avait des droits incontestables à la régence.
La politique du nouveau régent se rapporta à deux objets principaux, dont l'un était de maintenir la paix avec ses voisins, ce qui l'engagea à ménager l'amitié de l'Empereur et à s'unir étroitement avec le roi d'Angleterre; et l'autre était d'acquitter les dettes de la couronne, qui étaient immenses, ce qui donna lieu au système de Law, dont le plan était aussi utile que l'abus qu'on en fit devint pernicieux.
Le Régent, doué d'un génie supérieur, avait les défauts des esprits vifs et hardis : les plus vastes idées lui paraissaient aussi simples que les communes; il s'abandonnait aux impressions d'une imagination ardente qui souvent outrait les choses. Né pour les beaux-arts, qu'il cultiva, il eut les faiblesses des héros : son tempérament encourageait son cœur à la sensibilité; il fit l'abbé du Bois cardinal, moins parce qu'il servait l'État, que parce qu'il était le ministre secret de ses passions. La calomnie osa charger ce prince doux et humain du plus horrible des forfaits, du dessein d'empoisonner son pupille et son roi. Un crime utile n'inspire pas moins d'horreur aux âmes bien nées, qu'une mauvaise action perdue; mais l'apologie véritable du Régent, c'est le règne de Louis XV.
Pour assurer la paix du royaume, et pour écarter toutes les occasions de disputes, le Régent conclut le traité de Barrière, à Anvers, par lequel il fut arrêté que les Hollandais entretiendraient garnison dans Namur, Furnes, Tournai, Ypres, Menin et le fort de Knocke, moyennant six cent mille florins d'Allemagne que la maison d'Autriche s'engageait de leur payer par an; en vertu de quoi,<161> ils renonçaient à la régie des Pays-Bas, dont l'entière possession resta à l'empereur Charles VI.
Les guerres qui se succédaient les unes aux autres, empêchaient l'Europe de jouir des fruits de la paix. Dès l'année 1715, les Turcs étaient entrés dans la Morée, qu'ils avaient enlevée aux Vénitiens. Le Pape, qui craignait pour l'Italie, conjura l'Empereur de prendre la défense de la chrétienté. Charles VI assembla des troupes en Hongrie, afin de favoriser les Vénitiens par la diversion qu'il allait faire contre les Turcs.
Dès l'année 1716, le prince Eugène avait battu le grand vizir auprès de Témeswar.161-a Cette année, il entreprit le siége de Belgrad, et fortifia son camp d'un bon retranchement. Les Turcs vinrent assiéger l'armée du prince Eugène; et, non contents de la bloquer, ils s'avancèrent à lui par des approches et des tranchées. Eugène, après leur avoir laissé passer un ruisseau qui les séparait de son camp, sortit de ses retranchements le 16 août, les attaqua, les battit, et leur prit canons, bagages, en un mot, tout leur camp; et Belgrad, qui n'avait plus de secours à espérer, se rendit au vainqueur par capitulation. Le maréchal de Starhemberg, ennemi du mérite d'Eugène, déclama contre sa conduite, qu'il taxait d'imprudente, et parla avec tant de force, qu'il s'en fallut peu que l'Empereur ne fît traduire le héros de l'Allemagne devant un conseil de guerre, pour avoir exposé l'armée impériale à périr sans ressource. Cependant la gloire d'Eugène était si brillante, qu'elle fit éclipser l'envie et ses envieux.
L'année suivante, les Turcs firent la paix à Passarowitz, et cédèrent à l'Empereur Belgrad et tout le banat de Témeswar. Les Vénitiens, qui avaient servi de prétexte aux conquêtes de Charles VI, payèrent les acquisitions que l'Empereur fit, par la perte de la Morée, et ils s'aperçurent, mais trop tard, que le secours d'un allié puissant est toujours dangereux.
<162>Charles VI était à peine sorti de cette guerre, qu'il eut d'autres ennemis à combattre. Il s'était élevé en Espagne un homme d'un esprit étendu et entreprenant, profond, hardi, fécond en ressources, et fait, en un mot, pour agrandir ou bouleverser les empires. C'était l'abbé Alberoni, Italien de naissance, que le duc de Vendôme emmena en Espagne, où son habileté se fit d'abord connaître par le renvoi du cardinal del Giudice, qui gouvernait ce royaume, et dont il occupa la place. Alberoni fit des pas de géant vers la fortune; il s'insinua dans l'esprit de la Reine, qui était une princesse de Parme, et il seconda les vues quelle avait d'établir ses fils en Italie. La flotte que le roi d'Espagne avait d'abord destinée au secours des Vénitiens, fut employée à la conquête de l'île de Sardaigne, qui appartenait à l'Empereur; Cagliari passa sous le pouvoir des Espagnols, et toute la province fut dans peu subjuguée.
Les représentations de l'Angleterre et de la France n'empêchèrent pas la reine d'Espagne de suivre les desseins qu'Alberoni, devenu cardinal, lui suggérait. Cette princesse avait secrètement résolu de conquérir tout ce qu'elle pourrait de l'Italie. L'Empereur, aux pressantes sollicitations de l'Angleterre, avait consenti de donner l'investiture de la Toscane, du Parmesan et du Plaisantin, à l'infant Don Carlos : mais Philippe V s'obstinait à demander le royaume de Naples.
Ce débordement d'ambition d'une puissance nouvellement établie, porta l'Empereur, le roi de France et celui d'Angleterre, à la conclusion de la quadruple alliance, comme une digue puissante qu'ils opposaient aux entreprises de Philippe. Les Hollandais, qui devaient accéder à cette ligue, se réservèrent pour la médiation, et ils furent remplacés par le duc de Savoie.
Cette formidable alliance n'altéra ni les projets d'Alberoni, ni la fermeté de la reine d'Espagne, ni le désir qu'avait le roi son époux d'établir sa famille. La flotte espagnole, que l'Europe croyait destinée pour Naples, aborda à Palerme, qui se rendit; et le marquis de Leyde<163> prit le titre de vice-roi de Sicile. Cependant l'amiral Byng vint avec vingt vaisseaux anglais dans la Méditerranée, battit la flotte espagnole dans le Fare; mais, quoiqu'il eût pris quatorze de ses plus beaux vaisseaux, il ne put empêcher que le marquis de Leyde ne prît Messine. Le duc de Savoie se détermina, dans cette nécessité, à troquer avec l'Empereur la Sicile contre le royaume de Sardaigne, dont il prit le nom dans la suite.
Le génie d'Alberoni, trop peu occupé d'une entreprise, était si vaste, qu'il en méditait plusieurs à la fois. Ses desseins s'étendaient de tous les côtés, comme ces mines qui poussent plusieurs rameaux, éloignés les uns des autres, au loin dans la campagne, qui jouent successivement, et font sauter les ennemis aux endroits où ils s'y attendent le moins. Une mine était crevée en Italie, une autre fut éventée en France.
C'était la fameuse conjuration que le prince Cellamare forma contre le Régent. Selon ce projet, l'Espagne devait faire un débarquement sur les côtes de Bretagne, rassembler les mécontents du Poitou, saisir le Roi et le duc d'Orléans, assembler les états généraux, qui représentent la nation en corps, et faire nommer le roi d'Espagne tuteur de Louis XV et régent de France. Un hasard singulier fit avorter ce dessein. Le secrétaire du prince Cellamare était un des chalands de la Fillon, personne renommée pour les mariages clandestins qui se faisaient chez elle. L'industrie de cette femme avait servi plus d'une fois le Régent et le cardinal du Bois. La Fillon trouvant un jour le secrétaire d'Espagne plus rêveur qu'à son ordinaire, et ne pouvant tirer de lui le sujet de sa mauvaise humeur, lui lâcha une fille adroite et rusée, qui le fit boire et parler. Cette fille le fouilla dans son ivresse. Les papiers dont il était chargé parurent à la Fillon de si grande conséquence, quelle les porta dans l'instant au Régent. Ce prince fit arrêter sur le champ le secrétaire. Tous les complices de la conjuration furent découverts; il en coûta la vie à<164> cinq gentilshommes bretons; le duc du Maine, le cardinal de Polignac et quelques autres seigneurs furent exilés. La Cour envoya des troupes en Bretagne; et lorsque le duc d'Ormond s'y présenta avec la flotte espagnole, personne ne remua. La constance du Régent ne fut jamais aussi ébranlée que par cet événement : quelques personnes ont prétendu qu'il méditait son abdication, mais qu'il fut retenu par la fermeté du cardinal du Bois, qui admirait les voies dont la Providence s'était servie dans cette affaire pour conserver la régence entre les mains du duc d'Orléans. L'Europe était comme une mer agitée qui gronde encore après l'orage, et ne se calme que successivement.
Les malheurs de Charles XII ne l'avaient point corrigé de ses passions : son ressentiment, qui le suivit en Suède, éclata contre le Danemark. Il attaqua la Norwége, ayant avec lui le prince héréditaire de Hesse, qui venait d'épouser sa sœur, la princesse Ulrique.164-a Il prit Christiania; mais, ne pouvant forcer la citadelle de Friedrichshall, et manquant de subsistances, il abandonna ses conquêtes.
L'appréhension des Russes l'avait retenu en Scanie; il fit cependant cette année une nouvelle irruption en Norwége : il assiégea Friedrichshall, et fut tué dans la tranchée. Cette valeur dont il était si prodigue, lui devint funeste : un coup de fauconneau, tiré d'une bicoque, termina la vie d'un prince qui faisait trembler le Nord, dont la valeur tenait de l'héroïsme, et qui aurait été le plus grand homme de son siècle, s'il avait été modéré et juste. La mort de ce prince fut le signal de l'armistice : les Suédois levèrent le siége de Friedrichshall; ils repassèrent leurs frontières, et les Danois ne les suivirent pas.
Avec Charles XII expirèrent ses projets de vengeance. Il était encore occupé des plus vastes desseins : animé contre le roi George d'Angleterre, qui lui avait enlevé les duchés de Brême et Verden,<165> il allait former une alliance avec le Czar, afin de chasser la maison de Hanovre d'Angleterre, et d'y rétablir le Prétendant. Görtz, qui succéda au comte de Piper dans le ministère de Suède, était dans le Nord ce qu'Alberoni était dans le Sud : ses intrigues agitaient tous les cabinets des princes. Ses desseins ne se bornaient point à l'Europe. Il était né pour devenir le ministre d'Alexandre ou de Charles XII, mais en formant les plus grands desseins, il surchargeait la Suède d'impôts, afin de pouvoir les exécuter. La misère du peuple, et la faveur dont il jouissait, lui attirèrent la haine du public. Dès que la nouvelle de la mort du Roi se répandit, la nation fit le procès à son ministre; l'envie inventa un nouveau crime pour le charger : il fut accusé d'avoir calomnié la nation auprès du Roi, et il eut la tête tranchée. En punissant Görtz, les Suédois flétrissaient indirectement la réputation d'un héros dont ils adorent encore à présent la mémoire; mais le peuple est un monstre composé de contradictions, qui passe impétueusement d'un excès à l'autre, et qui, dans ses caprices, protége ou opprime le vice et la vertu indifféremment. Le trône vacant de Suède fut rempli par Ulrique, sœur de Charles XII et épouse du prince héréditaire de Hesse-Cassel.
Frédéric-Guillaume ne put s'empêcher de répandre quelques larmes, lorsqu'il apprit la mort prématurée de Charles XII. Il estimait les grandes qualités de ce prince, dont il était devenu l'ennemi à regret et par une espèce de violence. L'exemple de Charles XII avait fait tourner la tête à bien des petits princes d'Allemagne trop faibles pour l'imiter. Le duc Charles-Léopold de Mecklenbourg forma le projet ambitieux de lever une armée; et, pour fournir aux frais de son entretien, il foula ses sujets par des vexations énormes. Le poids des impôts s'appesantit à un point, que la noblesse, excédée, en porta ses plaintes à Vienne, où elle fut appuyée par Bernstorff, ministre de Hanovre, mais Mecklenbourgeois de naissance. Il obtint de l'Empereur un décret fulminant contre le duc. Quoique ce prince eût<166> épousé la nièce du Czar, pour s'assurer d'une puissante protection, cela n'empêcha pas l'Empereur, poussé par Bernstorff, de donner un décret de commission à l'électeur de Hanovre et au duc de Brunswic, pour prendre ce pays en séquestre. Le roi de Prusse se plaignit à Vienne de ce qu'étant directeur du cercle de la Basse-Saxe, ce décret ne lui avait point été adressé. L'Empereur lui répondit : qu'il était contre les lois de l'Empire de charger le Roi de ce séquestre, à cause qu'il avait l'expectative sur le Mecklenbourg; sur quoi le Czar déclara qu'il ne souffrirait jamais qu'on opprimât un prince qui venait d'entrer dans sa famille. Ce qui arrêta le plus Frédéric-Guillaume dans cette affaire, c'est que le roi d'Angleterre ayant eu l'adresse de se faire médiateur de la paix que la Prusse négociait en Suède, devait alors être traité avec beaucoup de ménagement, de sorte que les Hanovriens restèrent en possession du séquestre, dont ils font monter les frais à quelques millions. Cette affaire est demeurée en ces termes, et elle y est encore au temps que nous écrivons cette histoire.
Quoique la paix ne fût pas conclue avec la Suède, elle était autant que faite. Le Roi qui voyait la tranquillité de ses États assurée, commença dès lors véritablement à régner, c'est-à-dire à faire le bonheur de ses peuples. Ce prince haïssait ces génies remuants qui communiquent leurs passions tumultueuses dans toutes les régions où l'intrigue peut pénétrer. Il n'aspirait point à la réputation de ces conquérants qui n'ont d'autre amour que celui de la gloire, mais bien à celle des législateurs qui n'ont d'autre objet que le bien et la vertu : il pensait que le courage d'esprit, si nécessaire pour réformer des abus et pour introduire des nouveautés utiles dans un gouvernement, était préférable à cette valeur de tempérament qui fait affronter les plus grands dangers, sans crainte à la vérité, mais souvent aussi sans connaissance. Les traces que la sagesse de son gouvernement a laissées dans l'État, dureront autant que la Prusse subsistera en corps de nation.
<167>Frédéric-Guillaume établit alors véritablement son système militaire, et le lia si étroitement avec le reste du gouvernement, qu'on ne pouvait y toucher sans hasarder de bouleverser l'État même. Pour juger de la sagesse de ce système, peut-être qu'il ne sera pas inutile d'entrer ici dans quelque discussion sur cette matière.
Dès le règne de Frédéric Ier, il s'était glissé quantité d'abus touchant les taxes, qui étaient devenues arbitraires; les cris de tout l'État en demandaient la réforme. Lorsque cette matière fut examinée, il se trouva qu'il n'y avait aucun principe selon lequel les possesseurs des terres fussent taxés de payer les contributions; que dans quelques endroits on avait conservé les impôts sur le pied où ils étaient avant la guerre de trente ans; mais que tous les propriétaires des terres défrichées depuis ce temps, dont le nombre était considérable, étaient taxés différemment. Afin de rendre ces impôts proportionnels, le Roi fit exactement mesurer tous les champs cultivables, et rétablit l'égalité des contributions selon les différentes classes de bonnes et de mauvaises terres; et comme le prix des denrées était de beaucoup haussé depuis la régence du Grand Électeur, il haussa de même les impôts à proportion de ce prix; ce qui augmenta considérablement ses revenus.
Mais afin de répandre d'une main ce qu'il recevait de l'autre, il créa quelques régiments d'infanterie nouveaux, et augmenta sa cavalerie, de sorte que l'armée montait à soixante mille hommes; et il distribua ces troupes dans toutes ses provinces, de sorte que l'argent qu'elles payaient à l'État, leur retournait sans cesse par le moyen des troupes; et, afin que le paysan ne fût point chargé par l'entretien des soldats, toute l'armée, tant cavalerie qu'infanterie, entra dans les villes. Par ce moyen, les accises augmentaient les revenus, la discipline s'affermissait dans les troupes, les denrées haussaient de prix, et nos laines, que nous vendions aux étrangers et que nous rachetions lorsqu'ils les avaient travaillées, ne sortirent plus du pays. Toute l'armée fut habillée de neuf régulièrement tous les ans, et Berlin se<168> peupla d'un nombre d'ouvriers qui ne vivent que de leur industrie, et qui ne travaillent que pour les troupes. Les manufactures, solidement établies, devinrent florissantes, et elles fournirent d'étoffes de laine une grande partie des peuples du Nord. Afin que cette armée, qui dès l'an 1718 montait à près de soixante mille hommes, ne devînt point à charge à l'État par le nombre de recrues dont elle avait besoin, le Roi fit une ordonnance par laquelle chaque capitaine était obligé d'enrôler du monde dans l'Empire; et quelques années après, les régiments se trouvèrent composés à moitié de citoyens, et l'autre, d'étrangers.
Le Roi repeupla la Prusse et la Lithuanie, que la peste avait dévastées : il fit venir des colonies de la Suisse, de la Souabe et du Palatinat, qu'il y établit avec des frais énormes. A force de temps et de peine, il parvint enfin à rebâtir et à repeupler ce pays désolé, que la ruine avait effacé pour un temps du nombre des terres habitables. Il parcourait annuellement toutes ses provinces; et, dans cette évolution périodique, il encourageait en tout lieu l'industrie, et faisait naître l'abondance. Beaucoup d'étrangers étaient appelés dans ses États; ceux qui établissaient des manufactures dans les villes, et ceux qui y faisaient connaître des arts nouveaux, étaient excités par des bénéfices, des priviléges et des récompenses.
L'esprit d'intrigue et la malice d'un simple particulier altéra pour un temps la tranquillité dont jouissaient la cour et l'État. Ce malheureux était un gentilhomme hongrois; il se nommait Clément. Il fondait les espérances de sa fortune sur la subtilité de sa fourberie. Il avait été employé dans les affaires en subalterne par le prince Eugène, et depuis par le maréchal de Flemming : à force d'impostures, il était parvenu à semer la mésintelligence entre la cour impériale et celle de Saxe. Comme il ne vivait que d'artifices, il lui fallait souvent des dupes nouvelles : il résolut d'étendre ses contributions jusque sur la bourse du Roi. Il vint à Berlin, et s'introduisit à la cour en s'of<169>frant de découvrir des secrets de la dernière importance. Ses secrets consistaient dans une conjuration imaginaire, tramée entre l'Empereur et le roi de Pologne, dans laquelle les principales personnes de la cour étaient impliquées. Clément assurait que ces personnes mécontentes avaient été corrompues par l'appât des richesses et par des vues d'ambition. Le plan de la conjuration était, à ce qu'il prétendait, de saisir la personne du Roi dans un château nommé Wusterhausen, où il passait régulièrement deux mois de l'automne, et de le livrer à l'Empereur. Ce qui donnait, en quelque sorte, de la vraisemblance à ce projet, c'est que ce château n'était qu'à quatre milles des frontières de la Saxe, et que le Roi y était sans gardes.
Frédéric-Guillaume méprisa du commencement ces insinuations, et il ne fut ébranlé que par une lettre du prince Eugène remplie de ce dessein, que Clément lui montra. Ce scélérat se fit fort de convaincre entièrement le Roi de tout ce qu'il avait avancé, en lui produisant des lettres du prince d'Anhalt, du général Grumbkow et d'autres seigneurs de la cour. Tant d'effronterie et de hardiesse jeta le Roi dans de cruels soupçons et dans des méfiances continuelles. Il se proposa enfin d'éprouver en sa présence si Clément connaîtrait l'écriture des personnes qu'il accusait : on jeta sur une table une liasse de lettres de différentes mains, en l'obligeant d'en reconnaître l'écriture. Clément s'y trompa, et sa fourbe fut découverte. Il avoua dans sa prison qu'il avait contrefait l'écriture et le sceau du prince Eugène. Il reçut le juste salaire que méritaient ses impostures et ses méchancetés : on lui coupa la tête.169-a Cependant ces fausses accusations ne laissèrent pas de renverser quelques fortunes, et de causer pour un temps des méfiances et des ombrages. La calomnie s'introduit plus facilement dans l'esprit des princes que la justification : ils connaissent assez les hommes pour savoir qu'il n'est guère de vertu sans tache, et ils voient tant d'exemples de la méchanceté du cœur<170> humain, qu'ils sont plus sujets à être trompés que des particuliers qui vivent éloignés du monde. Les mensonges de Clément avaient pris crédit en quelque manière, à la faveur de la conjuration du prince Cellamare, dont l'exemple était encore tout récent.
Cette conjuration, bien plus réelle que celle de Clément, eut aussi des suites bien plus importantes. Au moyen de la quadruple alliance qui venait de se conclure, le Régent avait la facilité de se venger, sans courir le moindre risque, des entreprises du cardinal Alberoni : il n'en laissa pas échapper l'occasion, et il publia, en déclarant la guerre à l'Espagne, qu'il n'en voulait qu'au premier ministre. Berwick, à la tête de l'armée de France, prit Saint-Sébastien et Fontarabie, tandis que la flotte anglaise désola les ports Saint-Antoine et de Vigo, et que Mercy, passant en Sicile avec l'armée de l'Empereur, obligea le marquis de Leyde à lever le siége de Melazzo, et reprit la ville et la citadelle de Syracuse.
Le roi d'Espagne marcha avec son armée sur les frontières de son royaume. Il conduisait une colonne de ses troupes; la Reine, la seconde; et le Cardinal, la troisième : mais ils n'étaient pas faits tous les trois pour commander des armées; et le Roi, découragé par la mauvaise tournure que prenait pour lui le commencement de cette guerre, aima mieux sacrifier son ministre, que d'exposer sa monarchie à de plus grands hasards. C'était effectivement l'unique moyen pour rétablir dans l'Europe une paix solide. Qu'on eût donné deux mondes comme le nôtre à bouleverser au cardinal Alberoni, il en aurait encore demandé un troisième. Ses desseins étaient trop vastes, et son imagination, trop fougueuse : il avait résolu de chasser l'Empereur de l'Italie, de rendre son maître régent de la France; et, afin de remettre le Prétendant sur le trône d'Angleterre, il voulait animer Charles XII contre le roi George, et armer les Turcs et les Russes contre l'empereur Charles VI. La raison qui fait échouer tous ces vastes projets des ambitieux, c'est, à ce qu'il paraît, qu'en politique<171> comme en mécanique, les machines simples ont un avantage extrême sur celles qui sont trop composées : plus les ressorts qui concourent à un même mouvement sont compliqués, et moins ils sont d'usage.
L'enthousiasme d'Alberoni ne se communiqua point aux princes qui devaient être les exécuteurs de son projet; il était vivement frappé de ses idées, les autres l'étaient faiblement. Lors même que le bon sens se laisse entraîner dans la carrière hasardeuse de l'imagination, il n'y fait pas un long chemin : la réflexion l'arrête, la prévoyance l'intimide, et souvent les obstacles le découragent. C'est ce qu'Alberoni éprouva des princes qu'il voulait engager dans ses vues. Il tomba lui-même dans le piége qu'il avait tendu à la tranquillité de l'Europe, et il repassa en Italie à la faveur des passe-ports qu'il reçut des puissances qu'il avait le plus grièvement offensées. On prévint un embrasement qui pouvait devenir funeste à l'Europe, en éteignant le flambeau qui était prêt à le causer. La chute d'Alberoni remit l'Espagne dans son vrai point d'équilibre. Elle rechercha l'amitié de la France, et accéda même à la quadruple alliance, pour que sa réconciliation en fût plus sincère.
Le Régent qui parvint à terminer si glorieusement les démêlés qui s'étaient élevés entre la France et l'Espagne, n'eut pas le bonheur de préserver ce royaume d'un bouleversement plus grand et plus général que ceux dont les guerres longues et ruineuses sont d'ordinaire suivies. Le système de Law avait poussé l'entêtement des Français pour le papier jusqu'à la folie; quelques fortunes subites firent extravaguer la nation, et ce fut en outrant les choses qu'elle les perdit.
Dès l'an 1716, Law était devenu directeur de la banque royale. Il commença dès lors à déployer son fameux système, en établissant la compagnie d'Occident ou du Mississippi, et la banque dont le roi de France était tout à la fois le protecteur et le propriétaire. Les desseins du Régent et de Law étaient de doubler les fonds du royaume,<172> en balançant le crédit du papier par le réel de l'argent, pour attirer peu à peu les espèces dans les coffres du souverain.
L'arrêt du 2 août 1719172-a porte défense aux particuliers, sous les plus fortes peines, de garder chez eux en argent au delà de cinq cents livres. Aux premières actions en succédèrent de nouvelles, qu'on nomma les filles; enfin ces filles enfantèrent des petites-filles; et le papier créé par ce système monta à trois milliards septante millions. Toutes les dettes de l'État furent acquittées par des billets timbrés à un certain coin. Les fondements de cet édifice n'avaient été faits au commencement que pour une certaine proportion : on voulut la porter au double et au quadruple; il s'écroula bientôt, bouleversa le royaume, et renversa en même temps l'architecte qui l'avait construit. Law pensa plus d'une fois être lapidé par le peuple, lorsque son papier tomba en décadence. Il quitta enfin le royaume, abandonnant la charge de contrôleur général des finances, dont il avait été revêtu au commencement de l'année, et les grands établissements qu'il avait dans ce royaume. Law n'était pas riche lorsqu'il vint en France : il en repartit de même, et se réfugia à Venise, où il finit ses jours dans l'indigence.
Il y a peu d'histoires qui, dans un aussi court espace, représentent autant d'ambitieux humiliés : les fortunes rapides de Görtz, d'Alberoni, de Law, se précipitèrent aussi subitement qu'elles s'étaient élevées; mais l'ambition n'est pas capable de conseil, elle s'égare en suivant un chemin bordé de précipices.
Après les chutes d'Alberoni et de Görtz, le sud et le nord de l'Europe respirèrent également. La paix que le Roi négociait à Stockholm, fut enfin conclue. Sa modération diminua ses avantages. D'Ilgen ne cessait de lui représenter, selon l'usage des ministres, qu'il devait profiter de ses avantages, et qu'en se roidissant encore, la Suède serait contrainte de lui céder l'île de Rügen et la ville de<173> Wolgast; et qu'il obtiendrait de même des Danois les franchises des péages du Sund. La réponse du Roi se trouve dans les archives, écrite de sa propre main : « Je suis content du destin dont je jouis par la grâce du ciel, et je ne veux jamais m'agrandir aux dépens de mes voisins. » Il paya deux millions à la Suède pour l'enclavure de la Poméranie, de sorte que cette acquisition était plutôt un achat qu'une conquête.
Le roi d'Angleterre qui avait par sa médiation accéléré la paix de Stockholm, fit peu de temps après la sienne avec l'Espagne;173-a et Philippe V céda Gibraltar et Port-Mahon à l'Angleterre, à condition que le roi George ne se mêlerait plus des affaires d'Italie.
A Vienne, on était mécontent et envieux des avantages dont jouissait le roi de Prusse. La maison d'Autriche voulut que les princes d'Allemagne, qu'elle regarde comme ses vassaux, la servissent contre ses ennemis, et non pas qu'ils fissent usage de leur force pour leur propre agrandissement. Le Grand Électeur avait secondé l'Empereur, à cause que leurs intérêts étaient souvent liés ensemble. Le roi Frédéric Ier l'avait secouru, tant par ses préjugés, qu'afin d'être reconnu roi de Prusse. Frédéric-Guillaume, qui n'avait ni préjugés ni intérêts qui jusqu'alors l'attachassent à la maison d'Autriche, ne lui fournit point de secours dans les guerres de Hongrie ni de Sicile. Il n'était lié avec l'Empereur par aucun traité; et de plus il s'excusa, sous prétexte qu'il avait à craindre des entreprises nouvelles de la part des Suédois. Dans le fond, il était trop clairvoyant pour forger ses propres chaînes, en travaillant à l'agrandissement de la maison d'Autriche, qui aspirait en Allemagne à une domination absolue.
La politique sage et mesurée de Frédéric-Guillaume se tournait entièrement à l'arrangement intérieur de ses États. Il avait établi sa résidence à Potsdam, maison de plaisance qui originairement n'était qu'un chétif hameau de pêcheurs. Il en fit une belle et grande ville,<174> où fleurirent toutes sortes d'arts, depuis les plus communs jusqu'à ceux qui servent au raffinement du luxe. Des Liégeois qu'il avait attirés par ses libéralités, y établirent une manufacture d'armes, qui fournit non seulement l'armée, mais encore les troupes de quelques puissances du Nord. On y fabriqua bientôt des velours aussi beaux que ceux de Gênes. Tous les étrangers qui possédaient quelque industrie, étaient reçus, établis et récompensés à Potsdam. Le Roi établit dans cette ville, dont il était le fondateur, un grand hôpital, où sont entretenus annuellement deux mille cinq cents enfants de soldats, qui peuvent apprendre toutes les professions auxquelles leur génie les détermine. Il établit de même un hôpital de filles, qui sont élevées aux ouvrages convenables à leur sexe. Par ces arrangements charitables, il soulagea la misère des soldats chargés de famille, et il procura une bonne éducation à des enfants auxquels les pères n'étaient pas en état d'en donner. Il augmenta, la même année, le corps des cadets, où trois cents jeunes gentilshommes font leur noviciat du métier des armes. Quelques vieux officiers veillent à leur éducation; et ils ont des maîtres pour leur donner des connaissances, et pour leur apprendre les exercices qui conviennent à des personnes de condition. Il n'est aucun soin plus digne d'un législateur que celui de l'éducation de la jeunesse. Dans un âge encore tendre ces jeunes plantes sont susceptibles de toutes sortes d'impressions : si on leur inspire l'amour de la vertu et de la patrie, ils deviennent de bons citoyens; et les bons citoyens sont les derniers remparts des empires. Si les princes méritent nos louanges en gouvernant leurs peuples avec justice, ils enlèvent notre amour en étendant leurs soins jusqu'à la postérité.
Le Roi envoya la même année le comte de Truchsess174-a en France, pour féliciter Louis XV, qui, ayant atteint l'âge de majorité, fut sacré à Rheims.
<175>Les calomnies que l'on avait répandues contre le duc d'Orléans, avaient fait des impressions si fortes dans le public, que la France s'attendait chaque jour à la mort de son roi, lorsqu'elle vit arriver inopinément celle du Régent. Ce prince, ayant passé le temps où il avait coutume de se faire saigner, fut attaqué d'apoplexie entre les bras de la duchesse de Falaris, dans un moment d'extase, qui fit douter s'il avait rendu l'âme par un sentiment de plaisir ou de douleur. Lorsque le roi Auguste de Pologne apprit les détails de cette mort, il dit ces mots de l'Écriture : « Ah que mon âme meure de la mort de ce juste! » Le cardinal du Bois avait précédé le Régent de quelques mois, et le peuple divulguait qu'il était parti pour préparer un quartier au Régent chez quelque Fillon de l'autre monde.
La Régence finit par la mort du duc d'Orléans, et le duc de Bourbon devint premier ministre. Ce changement dans le gouvernement de la France, et quelques entreprises de la maison d'Autriche contraires aux traités de paix, firent changer tout le système de l'Europe. Voici de quoi il était question : l'Empereur avait fait expédier des lettres de commission aux marchands d'Ostende pour trafiquer aux Indes. Cela réveilla l'attention de toutes les nations commerçantes; la France, l'Angleterre et la Hollande, alarmées d'un projet qui leur était également préjudiciable, s'unirent pour demander la suppression de cette nouvelle compagnie; mais la cour de Vienne ne s'en émut point, et voulut soutenir son projet de commerce avec hauteur.
On eut recours aux voies de conciliation, comme aux moyens les plus équitables pour terminer ces différends, et pour concilier d'autres intérêts, tels que la succession éventuelle de Parme et de Plaisance. On assembla un congrès à Cambrai, où personne ne voulut céder de son terrain. Les ministres disputèrent, comme de raison, avec chaleur; chacun soutenait sa cause par des arguments qu'il croyait sans réplique. Les maîtres d'hôtels et les marchands de vins<176> s'enrichirent, les princes en payèrent les frais, et le congrès se sépara sans avoir rien décidé.
Pendant que ces politiques discutaient vainement d'aussi grands intérêts, Philippe V s'échappa à la vigilance de son épouse, et abdiqua subitement en faveur de son fils Louis. C'était pour lui procurer cette couronne dont il se démettait volontairement, que la France avait prodigué tant de trésors; mais la mort de son fils, qui lui remettait les rênes du gouvernement entre les mains, ne lui laissa pas le temps de se repentir de son abdication.
A peine était-il remonté sur le trône, qu'il fit un traité de commerce avec l'Empereur, à l'insu de l'Angleterre. Le comte de Königsegg, ambassadeur de Charles VI à Madrid, avait leurré la reine d'Espagne du mariage de Don Carlos avec l'archiduchesse Marie-Thérèse, héritière de la maison d'Autriche; et l'espérance de réunir dans leurs maisons toutes les possessions de Charles V, porta la reine et le roi d'Espagne à faire des conditions très-avantageuses à l'Empereur. Le roi George soupçonnait que ce traité contenait des articles secrets à l'avantage du Prétendant; la France était mécontente de ce que l'Espagne, par ses subsides, mettait l'Empereur en état de soutenir la compagnie d'Ostende; le roi de Prusse était fâché de quelques décrets fulminants que Charles VI lui avait envoyés au sujet de certaines redevances qu'il exigeait des fiefs de Magdebourg : ces trois puissances, ayant toutes des griefs contre la cour de Vienne, s'unirent par des engagements étroits, qui devaient être d'autant plus durables, qu'ils étaient soutenus par leurs intérêts particuliers. Cette conformité de sentiments donna lieu au traité de Hanovre.
La forme du traité était défensive, et roulait sur des garanties réciproques. La France et l'Angleterre s'engageaient d'une façon vague, et susceptible de toutes sortes d'interprétations, d'employer leurs bons offices, pour que les droits de la Prusse sur la succession de Berg ne reçussent aucune atteinte après la mort de l'Électeur<177> palatin. La Suède, le Danemark et la Hollande accédèrent ensuite à ce traité. La France et l'Angleterre en voulaient effectivement à la maison d'Autriche. Dans cette intention, ils espéraient se servir du Roi pour enlever la Silésie à l'Empereur. Frédéric-Guillaume n'était pas éloigné de se charger de l'exécution de ce projet : il demandait qu'on joignît une seule brigade des Hanovriens à ses troupes, afin de ne pas s'engager tout seul dans une entreprise aussi importante, ou que les alliés convinssent avec lui d'une diversion qu'ils feraient d'un autre côté, en même temps qu'il commencerait les opérations en Silésie. Quoique cette alternative parût raisonnable, le roi d'Angleterre ne voulut jamais s'expliquer sur cette matière.
A peine les alliés eurent-ils signé leur traité à Hanovre, qu'une autre alliance se fit à Vienne entre l'Empereur, le roi d'Espagne, le Czar, et quelques princes d'Allemagne. C'est par le moyen de ces grandes alliances qui séparent l'Europe en deux puissants partis, que la balance des pouvoirs se soutient en équilibre, que la force des uns tient la puissance des autres en respect, et que la sagesse des habiles politiques prévient souvent des guerres, et maintient la paix, lors même qu'elle est sur le point d'être rompue.
Dès que le Czar eut signé le traité de Vienne, il fit de fortes remontrances au roi de Prusse sur le parti qu'il avait pris, lui insinuant, avec ces espèces de menaces auxquelles les expressions polies servent de véhicule, qu'il ne verrait pas indifféremment que les États héréditaires de l'Empereur fussent attaqués.
Pierre Ier mourut dans ces circonstances, laissant dans le monde plutôt la réputation d'un homme extraordinaire que d'un grand homme, et couvrant les cruautés d'un tyran des vertus d'un législateur. L'impératrice Catherine, sa femme, lui succéda. Elle était Livonienne de naissance, et de la plus basse extraction, étant veuve d'un bas officier suédois. Elle devint maîtresse tour à tour de quelques officiers russes; depuis, de Menschikoff; enfin le Czar en devint amou<178>reux, et se l'appropria. En 1711, lorsque le Czar s'approcha du Pruth avec son armée, les Turcs passèrent cette rivière, et vinrent se retrancher vis-à-vis de son camp : il avait en front deux cent mille ennemis, et à dos une rivière qu'il ne pouvait passer, manquant de pont. Le grand vizir, qui l'attaqua par différentes reprises, voyant ses troupes souvent repoussées, changea de dessein. Il apprit par la déposition d'un transfuge que l'armée moscovite souffrait une disette cruelle, et que dans le camp du Czar il n'y avait de vivres que pour peu de jours. Sur cela, il se contenta de bloquer les Russes; c'était ce que Pierre Ier craignait le plus. Son armée était presque fondue; il lui restait à peine trente mille hommes, accablés de misère, énervés par la faim, sans espérance et par conséquent sans courage. Dans cette situation désespérée, le Czar prit une résolution digne de sa grandeur d'âme. Il ordonna au général Czerbatof178-a que l'armée se préparât à combattre le lendemain, afin de se frayer un chemin à travers les ennemis au bout de la bayonnette. Il fit ensuite brûler tous les bagages, et se retira dans sa tente, accablé de douleur. Catherine conserva seule la liberté d'esprit, dans ce désespoir commun où tout le monde attendait la mort ou la servitude. Elle témoigna un courage au-dessus de son sexe et de sa naissance; elle tint conseil avec les généraux, et résolut de demander la paix aux Turcs. Le chancelier Schafiroff dressa la lettre du Czar au vizir, que Catherine fit signer à Pierre Ier à force de caresses, de prières et de larmes; elle ramassa ensuite toutes les richesses qu'elle put trouver dans le camp, et les envoya au vizir.
Après quelques renvois, les présents opérèrent leur effet : la paix fut conclue, et le Czar, en cédant Asow aux Turcs, se tira d'un pas aussi dangereux que celui que Charles XII trouva à Poltawa, l'écueil de sa fortune. La reconnaissance du Czar fut proportionnée au service que Catherine lui avait rendu; il la trouva digne de gouverner<179> un État qu'elle avait sauvé; il la déclara son épouse, et elle fut couronnée impératrice. Cette princesse gouverna la Russie avec sagesse et avec fermeté, et elle continua d'observer les engagements que le Czar avait pris avec l'empereur Charles VI.
Pendant que toute l'Europe s'armait, Louis XV épousa la fille de Stanislas Leszczynski, roi détrôné de Pologne. Le duc de Bourbon, qui avait choisi la reine de France, se maria peu de temps après avec la princesse de Rheinfels, dont la beauté était touchante. On prétend que le roi de France lui dit qu'il choisissait mieux pour lui-même que pour les autres. Cependant la reine de France marqua, dans la suite, qu'elle réparait, par son cœur et par son caractère, les charmes passagers d'une beauté que le moindre accident fait évanouir.
Toute l'année 1726 se passa en préparatifs de guerre. Trois vaisseaux de ligne moscovites vinrent hiverner en Espagne, dans le port de Saint-André. Les Anglais mirent trois flottes en mer, dont l'une fit voile aux Indes, l'autre, sur les côtes d'Espagne, et la troisième, vers la Baltique. La France augmenta ses régiments, et créa une milice forte de soixante mille hommes.
Le Roi se trouvait dans une situation difficile et embarrassante, à la veille d'une guerre dont il courait le plus grand risque, sans assurances des secours de ses alliés, exposé à l'irruption des Moscovites et devenant l'exécuteur d'un plan qu'on lui cachait. On avait désigné les provinces qu'on voulait conquérir, mais on n'avait pas réglé le partage qu'on en voulait faire; et, pour tout dire, le ministre hanovrien du roi George affectait de traiter le roi de Prusse en puissance subalterne. Tant de dangers, si peu d'avantage, et cet excès d'arrogance, dégoûtèrent le Roi du ton impérieux que ses alliés affectaient de prendre avec lui; et, dès ce temps, il pensa à trouver ses sûretés ailleurs.
Cette année fut funeste aux premiers ministres. Le duc de Ripperda fut congédié et arrêté à Madrid, pour avoir fait le traité de<180> Vienne; il se sauva de prison, et passa chez le roi de Maroc, où il mourut peu de temps après. Le duc de Bourbon eut un sort plus doux, mais à peu près semblable : l'adresse de l'ancien évêque de Fréjus, précepteur du roi de France, le fit exiler; le précepteur devint premier ministre et cardinal. Les premières fonctions de son ministère furent de soulager le peuple des impôts qui l'accablaient; il fit autant de bien aux finances du Roi, où il mit de l'économie, que de mal au militaire, et surtout à la marine, qu'il négligea. Souple, timide et rusé, il conserva les vices d'un prêtre dans les fonctions du ministère; tant il est vrai que les emplois décorent les hommes, mais ne les changent pas. Nous pourrions ajouter à ces disgrâces l'élection et la chute de Maurice, comte de Saxe, devenu duc de Courlande par le choix des états, et chassé de son pays par la violence des Russes.180-a C'est ce même comte de Saxe que nous avons vu briller à la tête des armées de Louis XV, et dont les grandes qualités tiennent lieu de la plus noble origine.
L'Europe perdit cette année deux têtes couronnées : l'impératrice Catherine mourut, et Pierre Alexeiwitsch, petit-fils de Pierre Ier, lui succéda. C'était un enfant qui croissait sous les yeux de quelques boyars attachés aux anciens usages de leur nation, et qui préparaient à ce jeune prince une tutelle éternelle. En Angleterre, George II succéda à son père, qui venait de mourir.
Frédéric-Guillaume et George II, quoique élevés presque ensemble, quoique beaux-frères, ne purent se souffrir dès leur tendre jeunesse. Cette haine personnelle, cette forte antipathie, pensa devenir funeste à leurs peuples lorsqu'ils occupèrent tous deux le trône. Le roi d'Angleterre appelait celui de Prusse mon frère le sergent, et Frédéric-Guillaume appelait le roi George mon frère le comédien.
<181>Cette animosité passa bientôt des personnes aux affaires, et ne manqua pas d'influer dans les plus grands événements. Tel est le sort des choses humaines, que des hommes conduits par des passions les gouvernent, et que des causes puériles dans leur origine deviennent les principes d'une suite de faits qui donnent lieu aux plus grandes révolutions.
D'abord après l'avénement de George II au trône, le comte de Seckendorff vint à Berlin.181-a Il servait, comme général, en même temps l'Empereur et la Saxe; il était d'un intérêt sordide; ses manières étaient grossières et rustres; le mensonge lui était si habituel, qu'il en avait perdu l'usage de la vérité : c'était l'âme d'un usurier, qui passait tantôt dans le corps d'un militaire, tantôt dans celui d'un négociateur. Ce fut cependant de ce personnage que se servit la Providence pour rompre le traité de Hanovre. Seckendorff avait servi en Flandre au siége de Tournai, et à la bataille de Malplaquet, où le Roi s'était trouvé. Ce prince avait une prédilection singulière pour tous les officiers qu'il avait connus dans cette guerre. Il se plaignit à ce général du mécontentement que lui donnaient les alliés. Seckendorff entra d'abord dans son sens, et il condamna sans peine les mauvais procédés de la France, et surtout de l'Angleterre. Il parla de l'Empereur comme d'un prince plus solide dans ses engagements, et plus ferme dans ses amitiés. Il fit envisager l'union de la Prusse et de l'Autriche dans le point de vue le plus avantageux; il représenta, comme une perspective riante, la facilité avec laquelle l'Empereur accorderait au Roi toutes ses sûretés pour l'entière possession de la succession de Berg; enfin il s'empara de l'esprit du Roi avec tant d'adresse, qu'il le disposa à signer, à Wusterhausen, un traité avec<182> l'Empereur. Il consistait dans des garanties réciproques et dans quelques articles relatifs au commerce de sel que le Brandebourg fait par l'Oder avec la Silésie.
A peine ce traité fut-il conclu, qu'il pensa s'allumer une guerre en Allemagne, entre les rois de Prusse et d'Angleterre, sur un sujet de si peu d'importance, qu'il n'en pouvait servir de prétexte qu'à des princes très-disposés à se nuire. La dispute vint sur deux petits prés situés aux confins de la Vieille-Marche et du duché de Celle, dont les limites n'étaient pas réglées, et sur quelques paysans hanovriens que des officiers prussiens avaient enrôlés. Le roi d'Angleterre, qui était à Hanovre, fit arrêter, par représailles, quarante soldats prussiens qui traversaient son pays avec des passe-ports. Ces princes ne cherchaient que des prétextes pour se brouiller; quelquefois même les rois s'épargnent cette peine. Le roi de Prusse trouva son honneur intéressé dans l'affaire des petits prés et dans l'arrêt des quarante soldats, et il s'abandonnait à sa haine et à son ressentiment. L'Empereur attisait ce feu; il aurait été bien aise de voir que les princes les plus puissants de l'Allemagne s'entre-détruisissent. Il promit un secours de douze mille hommes; le roi de Pologne, mécontent de celui d'Angleterre, en offrit un de huit mille hommes.
Toute la Prusse était déjà en mouvement; les troupes filaient toutes vers l'Elbe : Hanovre trembla. George, qui ne s'attendait point à la guerre, somma la Suède, le Danemark, la Hesse et le Brunswic, qui recevaient des subsides anglais, de lui fournir des troupes; et il sonna le tocsin en France, en Russie et en Hollande. L'Empereur, dans l'intention d'encourager le Roi à cette rupture, lui garantit toutes ses possessions du Wéser et du Rhin. Cette affaire allait devenir des plus sérieuses, lorsqu'elle prit inopinément une face différente. Le Roi assembla un conseil, composé de ses principaux ministres et de ses plus anciens généraux; il leur proposa l'état de la question, et leur demanda leur sentiment. Le maréchal de Natzmer,<183> qui était un janséniste protestant, fit un long discours par lequel il déplora la religion protestante, prête à se voir éteinte par la dissension des deux seuls princes d'Allemagne qui en étaient les protecteurs. Les ministres appuyèrent sur les raisons secrètes qu'avait la cour impériale d'aigrir les esprits avec tant de malice, dans une affaire d'ellemême peu importante, et qui était encore en termes d'accommodement. Un prince qui écoute des conseils est capable de les suivre. Le Roi remporta ce jour sur lui-même une victoire plus belle que toutes celles qu'il eût pu remporter sur ses ennemis : il fit taire ses passions pour le bien de ses peuples, et les ducs de Brunswic et de Gotha furent choisis de part et d'autre pour accommoder ces petits différends.
L'Empereur fit ce qu'il put pour traverser cette négociation; mais elle fut terminée promptement. On relâcha les soldats prussiens, on rendit les paysans de Hanovre; et l'affaire des prés fut terminée. Ces sortes d'accommodements faits à l'amiable, sont d'autant plus sages, que les princes, après les guerres les plus heureuses, sont tôt ou tard obligés d'en revenir là, sans obtenir de plus grands avantages. Cet exemple de modération de la part de Frédéric-Guillaume est peutêtre unique dans l'histoire.
Ce prince, toujours plus occupé du bien de ses sujets que de son ambition particulière, fonda l'hôtel de la Charité à Berlin, sur le modèle de l'Hôtel-Dieu à Paris. Il bâtit la Friedrichsstadt, dont l'étendue, la régularité des rues, toutes tirées au cordeau, et la beauté des édifices, surpassent de beaucoup ceux de l'ancienne cité; et il eut le plaisir d'y recevoir le roi de Pologne. L'entrevue de ces deux princes se passa dans les festins et dans les magnificences.
Cependant on ne cessait de négocier pour prévenir les troubles de la guerre. Les puissances convinrent d'assembler un congrès à Soissons, où se rendirent les ministres de toutes les cours intéressées au traité de Hanovre et de Vienne; et les avantages que la France et<184> l'Angleterre offrirent à l'Espagne, la détachèrent de l'intérêt de l'Empereur. Le traité de Séville fut une suite du congrès de Soissons. Les articles de ce traité sont d'autant plus remarquables, qu'ils ouvrent à l'Espagne l'entrée de l'Italie, et que l'Angleterre s'engage à faire tomber la succession des ducs de Parme et de Plaisance à l'infant Don Carlos, en considération des avantages que l'Espagne permet aux Anglais de gagner par le trafic de l'Assiento.
Le roi de Pologne, qui était venu à Berlin l'an 1728, voulut à son tour étaler sa magnificence aux yeux du Roi, en lui donnant des fêtes toutes militaires. Il rassembla ses troupes184-29 dans un camp auprès de Radeberg,184-a village situé sur l'Elbe; les manœuvres qu'il fit faire à son armée étaient une image de la guerre des Romains, mêlée aux visions du chevalier Folard. Les connaisseurs jugèrent que ce camp était plutôt un spectacle théâtral, qu'un emblème véritable de la guerre.
Pendant ces démonstrations apparentes d'amitié, les intrigues d'Auguste dans toutes les cours de l'Europe tendaient à frustrer Frédéric-Guillaume de la succession de Berg, et à la faire retomber à la Saxe. Ce camp, cette magnificence, et ces fausses marques d'estime, étaient des artifices par lesquels le roi de Pologne crut endormir le roi de Prusse; mais celui-ci en pénétra les motifs, et n'en détesta que plus sa fausseté. Ces sortes d'actions semblent permises en politique; mais elles ne le sont guère en morale; et, à le bien examiner, la réputation de fourbe est aussi flétrissante pour le prince même, que désavantageuse à ses intérêts.
On crut que de semblables réflexions dégoûtèrent le roi Victor de sa royauté; mais effectivement ce ne fut que l'amour qu'il avait pour madame de Saint-Sébastien, qu'il épousa à Chambéry après son abdication. On prétend qu'il conserva toujours ce caractère d'auto<185>rité qu'il avait eu comme roi, et qu'ayant quelque mécontentement contre le duc d'Ormea et quelques autres ministres, il voulut contraindre son fils à les disgracier. Le comte d'Ormea, informé des intentions du roi Victor, craignit de voir sa perte assurée, s'il ne prévenait ce prince. Il alla chez le roi de Sardaigne, et lui persuada que son père conspirait et voulait remonter sur le trône, et il le pressa si vivement, que le père fut arrêté, et conduit au château de Chambéry, où il mourut. Un prince est bien à plaindre se trouvant vis-à-vis de son père dans des circonstances aussi épineuses, où il a la nature, l'intérêt et la gloire à combattre.
En Russie, mourut la même année le jeune czar Pierre II. Il était fiancé avec une princesse Dolgoruki. Cette maison eut des vues pour placer cette princesse fiancée sur le trône; mais la nation voulut unanimement que le sceptre demeurât dans la maison de Pierre Ier : on l'offrit à Anne, duchesse douairière de Courlande, qui l'accepta. Du commencement, les Russes limitèrent son pouvoir; mais la famille des Dolgoruki tomba, et son autorité devint despotique. Elle entretint, de même que ses prédécesseurs, les liaisons qui subsistaient depuis longtemps avec la maison d'Autriche.
L'Empereur oublia bientôt les services que le Roi lui avait rendus en quittant l'alliance de Hanovre. Il s'accommoda avec le roi d'Angleterre, et lui donna l'investiture du duché de Brême et du Hadelerland, sans songer aux intérêts de la Prusse. L'ingratitude est une monnaie décriée, et qui cependant a cours partout.
La mort de tant de princes, le déplacement de tant de ministres, le renouvellement et le changement de tant d'alliances, produisirent des combinaisons d'intérêts tout nouveaux en Europe. L'Angleterre, réconciliée avec l'Espagne et l'Autriche, joignit une flotte nombreuse à celle d'Espagne, pour transporter Don Carlos en Italie.
Au commencement du siècle, la Grande-Bretagne s'était ruinée pour chasser les Espagnols du royaume de Naples et du Milanais,<186> parce qu'ils croyaient la puissance de Philippe V trop redoutable avec ses possessions; et à peine vingt ans s'étaient écoulés, que les navires anglais ramenèrent les Espagnols en Italie, et donnèrent à l'Infant Parme et Plaisance, dont le dernier duc venait de mourir.
En ce même temps, les Corses se révoltèrent contre les Génois, à cause de la dureté de leur gouvernement. L'Empereur y envoya des troupes au secours des Génois, qui réduisirent les rebelles à l'obéissance. Ces révoltes se renouvelèrent souvent, jusqu'à l'année 1736, que les Corses choisirent pour leur roi un aventurier, nommé Théodore de Neuhof. On présuma que le duc de Lorraine, qui depuis devint Empereur, fomentait cette rébellion; cependant, par le secours des Français, l'île de Corse fut entièrement rangée sous l'obéissance de ses maîtres.
On crut alors que l'Italie était menacée d'une nouvelle guerre. La reine d'Espagne, toujours inquiète et toujours en action, faisait de grands armements; cependant, au lieu de tomber sur l'Italie, ses troupes allèrent en Afrique, et s'emparèrent d'Oran. La reine d'Espagne obtint un bref du Pape, qui enjoignit au clergé de payer le dixième de ses revenus, autant que durerait la guerre contre les Infidèles. Dès ce moment, la Reine se proposa de perpétuer cette guerre à jamais; et, en sacrifiant tous les ans une centaine d'Espagnols qui périrent en escarmouchant contre les Mores, elle resta en possession des dîmes de l'Église, qui font un revenu très-important pour la couronne. Ainsi les maîtres du Pérou et du Potosi, manque d'argent, se mettaient aux aumônes des prêtres de leur royaume.
Après toutes ces digressions, il est temps que nous revenions à Berlin, où Seckendorff, par ses intrigues, avait beaucoup étendu son crédit. Il aurait bien voulu gouverner la cour tout à fait. Dans ce dessein il proposa au Roi de s'aboucher avec l'Empereur, qui s'était rendu à Prague, espérant de se rendre si utile, pendant ce séjour, que la confiance que le Roi avait en lui ne pourrait que s'accroître<187> infiniment. Le Roi, qui mettait dans les affaires la bonne foi de ses mœurs, consentit sans peine à ce voyage, sans prendre aucune mesure sur le but de cette entrevue, ni sur l'étiquette, qu'il méprisait. Son exemple servit de témoignage que la bonne foi et les vertus, si opposées à la corruption du siècle, ne sauraient y prospérer. Les politiques ont relégué la candeur dans la vie civile; et ils se voient si au-dessus des lois qu'ils font observer aux autres, qu'ils se livrent sans retenue à la dépravation de leur cœur. Les mœurs unies du Roi devinrent les victimes de l'étiquette impériale.
La garantie de la succession de Berg, que Seckendorff avait formellement promise au nom de l'Empereur, s'en alla en fumée; et les ministres de l'Empereur étaient dans des dispositions si contraires à la Prusse, que le Roi vit très-clairement que s'il y avait en Europe une cour portée à contrecarrer ses intérêts, c'était sûrement celle de Vienne. Ce prince s'était trouvé auprès de l'Empereur comme Solon auprès de Crésus; et il revint à Berlin, toujours riche de sa propre vertu. Les censeurs les plus pointilleux ne purent reprocher à sa conduite qu'une probité poussée à l'excès. Cette entrevue eut le sort qu'ont la plupart des visites que les rois se rendent : elle refroidit ou, pour le dire en un mot, elle éteignit l'amitié qui régnait entre les deux cours. Frédéric-Guillaume partit de Prague, plein de mépris pour la mauvaise foi et l'orgueil de la cour impériale; et les ministres de l'Empereur dédaignaient un souverain qui voyait sans préoccupation la frivolité des préséances. Sinzendorff trouvait les prétentions du Roi sur la succession de Berg trop ambitieuses, et le Roi trouvait les refus de ces ministres trop grossiers. Il les regardait comme des fourbes, qui manquaient impunément à leur parole.
Malgré tant de sujets de mécontentement, le Roi maria son fils aîné, par complaisance pour la cour de Vienne, avec une princesse de Brunswic-Bevern, nièce de l'Impératrice. Pendant la célébration de ces noces, on apprit que le roi de Pologne était mort à Varsovie.
<188>Dans le temps que la mort le surprit, il était occupé des plus vastes desseins : il pensait à rendre la souveraineté héréditaire en Pologne. Afin de parvenir à ce but, il avait imaginé le partage de cette monarchie, comme le moyen par lequel il croyait apaiser la jalousie des puissances voisines. Il avait besoin du Roi dans l'exécution de ce projet; il lui demanda le maréchal de Grumbkow afin de s'en ouvrir à lui. Le roi de Pologne voulut pénétrer Grumbkow, et celui-ci voulut également le pénétrer. Ils s'enivrèrent réciproquement dans cette intention, ce qui causa la mort du roi Auguste, et à Grumbkow, une maladie dont il ne se releva jamais. Cependant le Roi fit semblant d'entrer dans les vues d'Auguste; mais en sentant trop bien les conséquences dangereuses, il se concerta avec l'Empereur et la Czarine pour les contrecarrer : ils convinrent d'exclure la maison de Saxe du trône de Pologne, et d'y placer le prince Emmanuel de Portugal. Mais la mort, qui détruisit l'homme et le projet, fit envisager les affaires de Pologne dans un tout autre point de vue.
La cour impériale voulut s'attacher la Saxe, et elle promit de soutenir à main armée l'élection du fils d'Auguste au trône de Pologne, pourvu qu'il garantît cette loi domestique que Charles VI avait établie dans sa maison, loi si connue dans l'Europe sous le nom de Sanction pragmatique. L'impératrice de Russie, qui craignait que Stanislas Leszczynski ne redevînt roi de Pologne, soutenu par la protection de Louis XV, se déclara la protectrice de l'heureux Auguste. De tous les candidats à cette couronne, Stanislas était le plus convenable aux intérêts de la Prusse. La France essaya de porter le Roi à faire entrer un corps de troupes dans la Prusse polonaise, et de la garder en séquestre, de même qu'il en avait usé avec la Poméranie. Mais Frédéric-Guillaume ne voulut rien donner au hasard : il craignait de s'engager dans une guerre qui pourrait le mener trop loin, et qui distrairait ses forces d'un autre côté, tandis que l'Électeur palatin, infirme et déjà fort âgé, pouvait venir à mourir. Il croyait ses droits<189> sur la succession de Juliers légitimes, et l'entreprise sur la Prusse polonaise injuste.
La diète d'élection, qui se tint à Varsovie, élut d'une commune voix Stanislas roi de Pologne, malgré les intrigues des cours de Vienne et de Pétersbourg, et malgré les armées russes et autrichiennes qui menaçaient cette république. Quelques palatins qui tenaient pour la Saxe, passèrent la Vistule, allèrent au village de Praga, s'assemblèrent dans une auberge, et y élurent pour roi Auguste, électeur de Saxe; sur quoi, les troupes moscovites s'approchèrent de Varsovie. L'orage succéda au calme, et Stanislas descendit pour la seconde fois du trône de Pologne, où les vœux d'une nation libre l'avaient fait monter. Il se réfugia à Danzig, où Münnich vint l'assiéger avec les Russes et les Saxons. Une dame polonaise, nommée Masalska, tira le premier coup de canon du rempart sur les assiégeants, pour déterminer la bourgeoisie à une défense généreuse. Louis XV envoya trois bataillons au secours de son beau-père, trop tard pour sauver Danzig, et trop tôt pour le malheur qui leur arriva. Le marquis de Plélo, qui les conduisait, fut tué, et ces trois bataillons, débarqués sur une île, ne pouvant regagner le bord de leurs vaisseaux, et manquant de vivres, furent faits prisonniers, et conduits à Saint-Pétersbourg.
Les Russes attaquèrent ensuite les ouvrages du Hagelsberg, où ils perdirent quatre mille hommes. La ville, déchirée par des dissensions intestines, et qui d'ailleurs n'avait plus de secours à attendre, était sur le point de capituler. Dans cette extrémité, Stanislas se sauva la veille de sa réduction. Il souffrit, pendant sa fuite, la plus cruelle misère; et, après avoir couru des risques inouïes pour sa personne, que les Russes poursuivaient, et avoir eu les aventures les plus singulières, il arriva à Marienwerder, déguisé en paysan, et de là il se rendit à Königsberg, après que le Roi l'eut assuré de sa protection.
Les troubles de la Pologne gagnèrent toute l'Europe. Dès qu'on eut appris à Versailles que l'Empereur assemblait des troupes auprès<190> de Glogau, et que les Russes étaient entrés sur les terres de la République, la France déclara la guerre à l'Empereur. Son manifeste annonçait qu'elle n'en voulait qu'à l'Empereur, et point à l'Empire; mais, par une contradiction que le cardinal Fleury aurait pu éviter facilement, les armées françaises, ayant passé le Rhin à Strasbourg, prirent Kehl, qui est une forteresse de l'Empire. Les ennemis de la France profitèrent de cette faute, et tirèrent des inductions malignes d'une conduite qu'ils avaient intérêt de rendre suspecte. En même temps, la guerre s'alluma en Italie. Les troupes françaises joignirent celles du roi de Sardaigne auprès de Verceil; elles prirent Pavie, Milan, Pizzighetone et Crémone. Le marquis de Montemar se joignit aux alliés, et les Espagnols se préparèrent à la conquête du royaume de Naples.
Quoique l'Angleterre ne fût point impliquée dans cette guerre, elle pensa être ébranlée par des troubles domestiques. George II avait formé le projet de se rendre entièrement souverain dans la Grande-Bretagne. C'était une entreprise qu'il ne pouvait pas conduire à force ouverte, mais sourdement et par des vues détournées. Introduire l'accise en Angleterre, c'était enchaîner la nation; si l'affaire eût réussi, elle aurait donné au Roi un revenu fixe et assuré, dont il aurait augmenté le militaire, et affermi sa puissance : Walpole proposa l'introduction des accises190-a à quelques membres du parlement dont il se croyait assuré; mais ceux-ci lui déclarèrent que s'il les payait, c'était pour souscrire au courant des sottises, mais non pas aux extraordinaires, comme l'était celle-là.
Malgré ces représentations, Walpole porta l'affaire au parlement, où il harangua avec tant de force, que son éloquence l'emporta sur<191> Pulteney et sur la cabale contraire à la cour. Sa victoire parut si complète, que le bill des accises passa par une grande majorité de voix. Le lendemain il pensa y avoir une émeute dans la ville. Les seigneurs et les principaux marchands présentèrent une adresse au Roi pour demander la suppression du bill. Quoique le parlement fût entouré de gardes, le peuple s'attroupa en grand nombre; il jetait des cris séditieux, et commençait à faire des avanies aux gens du Roi : il ne leur manquait qu'un chef, et la révolte éclatait. Walpole, qui vit que cette affaire devenait sérieuse, jugea qu'il fallait céder; il cassa le bill sur le champ, et sortit du parlement, couvert d'un mauvais manteau qui le déguisait, en criant : « liberté! liberté! et point d'accises! » Il trouva le Roi à Saint-James, qui s'armait de toutes pièces : il avait mis son chapeau qu'il portait à Malplaquet; il essayait son épée avec laquelle il avait combattu à Oudenarde, et il voulait se mettre à la tête de ses gardes, qui s'assemblaient dans la cour, pour soutenir avec fermeté l'affaire des accises. Walpole eut toutes les peines du monde à modérer son impétuosité, et il lui représenta avec la généreuse hardiesse d'un Anglais attaché à son maître, qu'il n'était pas temps de combattre, mais bien d'opter entre le bill et la couronne. Enfin le projet de l'accise tomba; et le Roi, très-mécontent de son parlement, se défia de son autorité, dont il avait pensé faire une triste expérience. Ces troubles intérieurs l'empêchèrent alors de se mêler de la guerre d'Allemagne.
Nous avons dit que Kehl avait été pris par les Français, et que la rupture était ouverte. L'Empereur, à qui la France avait donné si beau jeu, n'eut point de peine à faire déclarer l'Empire en sa faveur. Il demanda au Roi les secours stipulés par l'alliance de 1728, et il menaçait qu'en cas de refus, il rétracterait la garantie qu'il avait donnée du duché de Berg. Le Roi, qui était demeuré neutre dans les troubles de la Pologne, quoique ses intérêts le sollicitassent en faveur de Stanislas, se déclara dans cette occasion pour l'Empereur, quoique<192> ses intérêts y fussent contraires. Il n'avait d'autre politique que la probité, et il observait ses engagements si scrupuleusement, que son avantage ni son ambition n'étaient jamais consultés lorsqu'il s'agissait de les remplir. En conséquence de ces principes, il fit marcher dix mille hommes au Rhin, qui servirent pendant cette guerre sous le prince Eugène de Savoie.
Au commencement du printemps, le maréchal de Berwick força les lignes d'Ettlingen, que le duc de Bevern avait fait construire pendant l'hiver, et il vint mettre le siége devant Philippsbourg. Eugène, qui avait à peine vingt mille hommes avec lui, se retira à Heilbronn, où il attendit que les secours qu'on lui avait promis fussent arrivés. Il revint ensuite se camper au village de Wiesenthal, à une portée de canon du retranchement français. Le Roi se rendit dans l'armée de l'Empereur, accompagné du Prince royal, tant par curiosité que par l'attachement extrême qu'il avait pour ses troupes; et il vit que les héros, comme les autres hommes, sont sujets à la caducité : il n'y avait plus dans cette armée que l'ombre du grand Eugène. Il avait survécu à lui-même; et il craignait d'exposer sa réputation, si solidement établie, au hasard d'une dix-huitième bataille. Un jeune homme audacieux aurait attaqué le retranchement français, qui n'était qu'à peine ébauché lorsque l'armée vint à Wiesenthal : les troupes françaises étaient si proches de Philippsbourg, que leur cavalerie n'avait pas assez de terrain pour se mettre en bataille entre la ville et le camp, sans souffrir beaucoup de la canonnade; elle n'avait qu'un pont de communication sur le Rhin; et en cas qu'on eût emporté le retranchement, toute l'armée française, qui n'avait point de retraite, aurait péri infailliblement. Mais le destin des empires en ordonna autrement : les Français prirent Philippsbourg, à la vue du prince Eugène, sans que personne s'y opposât. Berwick fut tué d'un coup de canon. Le maréchal d'Asfeld lui succéda dans le commandement. Le Roi, dont les fatigues avaient achevé de déranger la santé, prit un<193> commencement d'hydropisie, qui l'obligea de quitter l'armée; et le reste de cette campagne se passa en marches et contre-marches, d'autant moins décisives, que le Rhin séparait les Français et les Impériaux.
En Italie, les Français prirent Tortone, battirent le maréchal de Mercy à Parme, et s'emparèrent de presque toute la Lombardie. Cependant le prince de Hildbourghausen fournit au maréchal de Königsegg le projet de surprendre l'armée française, qui était campée sur les bords de la Secchia; ce qui s'exécuta de façon que Coigny et Broglie furent attaqués de nuit, surpris, et chassés. Le roi de Sardaigne répara leur faute par sa sagesse, et les alliés remportèrent la victoire de Guastalla sur les Autrichiens.
Don Carlos entra en même temps dans le royaume de Naples, et en reçut l'hommage. Montemar affermit son trône par le gain de la bataille de Bitonto. Visconti et les Autrichiens furent chassés de ce royaume; et Montemar passa de la conquête de Naples à celle de la Sicile : il prit Syracuse, et se rendit maître de Messine, qui capitula après avoir fait une assez bonne défense.
En Lombardie, les Autrichiens furent encore battus à Parme; et sur le Rhin, la campagne fut plus stérile que l'année précédente. L'armée impériale fut augmentée par un secours de dix mille Russes. L'inquiet Seckendorff obtint du prince Eugène un détachement de quarante mille hommes, avec lequel il marcha sur la Moselle. Il rencontra l'armée française auprès de l'abbaye de Clausen : la nuit sema la confusion et l'alarme dans les deux camps; et les troupes chargèrent des deux parts, sans qu'il parût d'ennemis. Le lendemain, Coigny repassa la Moselle, et se campa sous Trèves. Seckendorff le suivit; et les deux généraux apprirent, dans ce camp, que les préliminaires de la paix entre l'Empereur et le roi de France étaient signés.
Cette négociation avait été conduite secrètement entre le comte<194> de Wied et le sieur du Theil. Ils étaient convenus qu'Auguste serait reconnu roi de Pologne par la France; que Stanislas renoncerait à toutes ses prétentions à cette couronne, en faveur du duché de Lorraine, dont il jouirait, et qui serait réversible à la France après sa mort; qu'en échange de cette cession, on donnerait au duc de Lorraine, gendre de Charles VI, la Toscane en dédommagement. De plus, l'Empereur reconnut Don Carlos roi des deux Siciles, et il reçut le Parmesan et le Plaisantin pour équivalent de cette perte. Il fut encore obligé de céder le Vigevanasc au roi de Sardaigne; en faveur de quoi, Louis XV lui promit la garantie de la pragmatique sanction.
L'Empereur et la France firent cette paix sans consulter leurs alliés, dont ils négligèrent les intérêts. Le Roi se plaignit de ce que la cour de Vienne n'avait pris aucune mesure avec celle de Versailles pour assurer la succession de Berg.
Ce prince s'était remis de son hydropisie; mais ses forces étaient si énervées, que son corps ne secondait plus les intentions de son âme. Il eut cependant le plaisir de voir prospérer une nouvelle colonie qu'il avait établie en Prusse dès l'année 1732. Il était sorti plus de vingt mille âmes de l'évêché de Salzbourg, par zèle pour la religion protestante. L'évêque194-a avait persécuté quelques-uns de ces malheureux avec plus de fanatisme que de prudence : l'envie de quitter leur patrie gagna le peuple, et devint épidémique; cette émigration se fit, à la fin, plutôt par esprit de libertinage que par attachement à une secte. Le Roi établit ces Salzbourgeois en Prusse; et, sans examiner les motifs de leur désertion, il repeupla par ce moyen des contrées que la peste avait dévastées sous le règne de son père.
La guerre générale était à peine finie, qu'il en survint aussitôt une nouvelle; elle s'alluma aux extrémités de l'Europe et de l'Asie. Les<195> Tartares, qui vivent sous la protection des Turcs, faisaient des incursions fréquentes en Russie. Les plaintes qu'en porta l'Impératrice à Constantinople, ne firent point cesser ces hostilités. Elle s'impatienta enfin de souffrir ces affronts, et elle se fit justice elle-même : Lacy s'avança contre les Tartares, et prit Asow; Münnich entra en Crimée, força les lignes de Pérécop, s'empara de cette ville, prit Bagtcheh-Seraï, et mit toute la Tartarie à feu et à sang. Cependant la disette d'eau et de vivres, et la chaleur ardente de ces climats, firent périr un grand nombre de Moscovites. L'ambition de Münnich ne comptait pour rien le nombre des soldats qu'il sacrifiait à sa gloire : mais son armée se fondit; et l'excès de misère auquel les Russes étaient réduits, rendit les vainqueurs semblables aux vaincus.
Dans ce temps mourut le dernier duc de Courlande de la maison de Kettler. Les états élurent pour la seconde fois le comte de Saxe :195-a mais l'impératrice de Russie éleva Biron à cette dignité. C'était un gentilhomme courlandais qui s'était attaché à sa personne, et dont le mérite consistait uniquement dans le bonheur qu'il avait de lui plaire.
Les armées de cette princesse continuèrent d'être victorieuses contre les Turcs. Münnich assiégea Oczakow, que trois mille Janissaires et sept mille Bosniaques défendaient. Une bombe qu'il fit jeter, mit le feu, par hasard, au grand magasin à poudre de la ville, qui sauta aussitôt, et bouleversa en même temps la plupart des maisons. Münnich saisit ce moment, et fit donner un assaut général à la place. Les Turcs, qui ne pouvaient revenir de leur perplexité, ni se défendre sur des remparts étroits où touchaient des maisons abandonnées aux flammes, ne savaient s'ils devaient éteindre l'incendie, ou repousser l'effort des Moscovites. Dans cette confusion, la ville fut emportée l'épée à la main, et le soldat effréné y commit toutes les cruautés dont une fureur aveugle est capable.
<196>Les premiers progrès des Russes contre les Turcs réveillèrent l'ambition des Autrichiens. On persuada à l'Empereur que c'était le moment d'attaquer les Turcs par la Hongrie; que si les Moscovites les pressaient en même temps du côté de la mer Noire, c'en serait fait de l'empire ottoman. On fit même courir des prophéties qui annonçaient que la période fatale au croissant était arrivée. La superstition agit à son tour : le confesseur de Charles VI lui représentait que c'était le devoir d'un prince catholique d'extirper l'ennemi du nom chrétien. Toutes ces insinuations différentes ne partaient effectivement que de l'Impératrice, de Bartenstein, de Seckendorff, et du prince de Hildbourghausen, qui, s'étant liés ensemble, faisaient jouer secrètement tous ces ressorts; et des haines et des intrigues de cour firent résoudre cette guerre sans raison valable, dans laquelle l'Empereur fut en quelque façon étonné de se voir engagé.
Le grand-duc de Toscane, ci-devant duc de Lorraine, fut créé généralissime des armées impériales. Seckendorff commanda sous lui, ou, pour mieux dire, Seckendorff commanda en chef. Au commencement de la campagne, les Impériaux prirent Nissa; ce fut où se borna leur fortune. Le prince de Hildbourghausen se fit battre avec un détachement qu'il commandait à Banjaluka. Khevenhüller leva le siége de Widdin, et fut vivement pressé par les Turcs, qui passèrent le Timoc, et donnèrent sur son arrière-garde. Le Dost-Pascha reprit Nissa, et l'Empereur fit trancher la tête à Doxat, qui avait rendu cette place sans faire assez de résistance.
Vers la fin de cette année mourut la reine d'Angleterre, qui avait joui d'une espèce de réputation, due à la bonté dont elle honorait les savants.
La campagne suivante fut malheureuse pour les Moscovites et pour les Autrichiens. Münnich entreprit vainement de pénétrer, du côté de Bender, dans la Bessarabie. Ce pays avait été ruiné par les Tartares; et il n'osa s'y enfoncer sans craindre pour ses troupes les<197> mêmes malheurs que les Suédois y avaient éprouvés. La peste, qui fit des ravages extraordinaires à Oczakow, l'obligea d'abandonner cette ville, et Lacy ne put faire aucun progrès dans la Crimée.
La mauvaise tournure que prit la guerre de Hongrie, abattait l'esprit de l'Empereur. Il regretta le grand Eugène, mort en 1737,197-a auquel il devait la gloire de son règne : « la fortune de l'État, disait-il, est-elle donc morte avec ce héros? » Mais aigri des malheurs de la guerre, il s'en prit à ses généraux : Seckendorff fut mis en prison au château de Grätz, et Königsegg eut en Hongrie le commandement de l'armée.
Les Impériaux furent battus en plusieurs rencontres. Les Turcs prirent le vieux Orsowa et Mehadia. Ils mirent le siége devant le nouvel Orsowa, qu'ils levèrent ayant été repoussés à Cornia : mais Königsegg, qui se retira mal à propos après sa victoire, leur donna le moyen de recommencer ce siége. Le nouvel Orsowa ne tint pas longtemps, et les Turcs y prirent tout le gros canon de l'Empereur. Il se donna encore une bataille auprès de Mehadia, aussi peu décisive que la première, où les Impériaux eurent le dessous. L'Empereur, irrité de ses pertes, ne savait à qui s'en prendre; il punissait ses généraux, mais c'étaient les projets de campagne qu'il devait réprouver.
L'expérience a fait voir, dans les guerres de Hongrie, que toutes les armées qui se sont éloignées du Danube ont été malheureuses, à cause qu'elles s'éloignaient en même temps de leur subsistance. Lorsqu'Eugène fit la guerre contre les Turcs, il ne sépara jamais son armée; et, dans ces temps modernes, l'envie qu'avaient les généraux en crédit à la cour de commander des corps séparés, fit que toute l'armée, étant en détachements, n'était nulle part formidable. Les vieilles maximes étaient négligées, et les généraux étaient d'autant plus à plaindre, que la cour les jetait dans des incertitudes perpétuelles par le nombre d'ordres contradictoires qu'elle leur envoyait.<198> On ôta le commandement de l'armée à Königsegg, de même qu'à ses prédécesseurs; et, pour le consoler, on le fit grand maître de la maison de l'Impératrice. Olivier Wallis fut choisi pour le remplacer; ce maréchal écrivit au Roi, et il dit dans sa lettre : « L'Empereur m'a confié le commandement de son armée : le premier qui l'a conduite avant moi, est en prison; celui auquel je succède, a été fait eunuque du sérail; il ne me reste que d'avoir la tête tranchée à la fin de ma campagne. »
L'armée impériale, forte de soixante mille hommes, s'assembla auprès de Belgrad; celle des Turcs était plus nombreuse du double. Wallis marcha à l'ennemi, sans savoir précisément sa force; et, sans avoir fait la moindre disposition, il attaqua avec sa cavalerie, par un chemin creux, un gros corps de Janissaires posté dans des vignes et des haies, auprès du village de Krozka; et il fut battu dans ce défilé, avant que son infanterie eût le temps d'arriver. Celle-là fut menée à la boucherie avec la même imprudence; de sorte que les Turcs pouvaient tirer à couvert sur elle. Sur la fin du jour, les Impériaux se retirèrent, après avoir laissé vingt mille hommes sur le carreau. Si l'armée turque les eût poursuivis, c'en était fait de Wallis et de tout le corps qu'il commandait. Ce maréchal, étourdi de cette disgrâce, au lieu de reprendre ses esprits, accumula ses fautes. Quoique Neipperg l'eût joint avec un gros détachement, il ne se crut en sûreté que dans les retranchements de Belgrad, qu'il abandonna encore, et repassa le Danube à l'approche du grand vizir. Les Turcs, qui ne trouvèrent dans leur chemin aucune résistance, mirent le siége devant Belgrad.
Les mauvais succès des Impériaux étaient balancés par les progrès des Russes. L'armée moscovite, plus heureuse sous la conduite de Münnich, battit les Turcs auprès de Chotzim, prit cette ville, et pénétra par la Moldavie en Valachie, dans le dessein de joindre les<199> armées impériales en Hongrie. Mais l'Empereur, rebuté de ses malheurs et d'une guerre qui le couvrait de honte, eut recours à la médiation de la France pour moyenner la paix. Le sieur de Villeneufve, ambassadeur de France à la Porte, se rendit dans le camp des Turcs; et les Russes, alarmés de cette démarche, y envoyèrent un Italien, nommé Cagnoni.
Le maréchal de Neipperg fut chargé par l'Empereur de cette négociation. L'Empereur et le grand-duc de Toscane en pressaient également la fin; les ordres du maréchal étaient de faire la paix, à quelque prix que ce fût. Il eut l'imprudence de se rendre chez les Turcs sans aucune sûreté, et sans être muni des passe-ports qu'on demande toujours en pareilles occasions. Il fut arrêté, la peur le saisit, et il signa la paix avec précipitation : il en coûta à l'Empereur le royaume de Servie et la ville de Belgrad.199-a La fermeté de Cagnoni en imposa au vizir : cet Italien eut l'adresse de conclure en même temps la paix pour les Moscovites, dont les conditions furent que l'Impératrice rendrait Asow et toutes ses conquêtes.
Olivier Wallis ne se trompa pas beaucoup dans le pronostic qu'il avait fait. Il fut mis en prison dans la forteresse de Brünn; et Neipperg, moins coupable encore, fut conduit dans la citadelle de Glatz.199-b Ce maréchal avait eu, outre les ordres de l'Empereur, des instructions positives du grand-duc pour hâter l'ouvrage de la paix. Ce prince craignait que l'Empereur, son beau-père, ne mourût avant la fin de cette guerre, et ne lui attirât sur les bras, par la succession litigieuse des pays héréditaires, de nouveaux ennemis, auxquels il n'aurait pas été en état de résister.
Bientôt une nouvelle guerre s'alluma dans le Sud, entre l'Angleterre et l'Espagne, à cause de la contrebande que les marchands<200> anglais faisaient dans les ports de la domination espagnole. L'objet de ce différend roulait peut-être sur une somme de cinquante mille pistoles par an, et les parties dépensèrent de chaque côté plus de dix millions pour la soutenir.
Le Roi n'avait pris aucune part à toutes ces guerres : il n'avait fourni de troupes, ni reçu de subsides de personne. D'ailleurs, depuis l'attaque d'hydropisie qu'il avait eue en 1734, il ne vivait que par l'art des médecins. Vers la fin de cette année, sa santé s'affaiblit considérablement. Dans cet état valétudinaire, il passa une convention avec la France,200-a dont il obtint la garantie du duché de Berg, à l'exception de la ville de Düsseldorf, et d'une banlieue large d'un mille, tout le long du bord du Rhin. Il se contenta d'autant plus facilement de ce partage, que la perte de son activité lui faisait désespérer de faire des acquisitions plus considérables.
L'hydropisie dont il était incommodé augmenta considérablement; et il mourut enfin le 31 mai 1740, avec la fermeté d'un philosophe et la résignation d'un chrétien. Il conserva une présence d'esprit admirable jusqu'au dernier moment de sa vie, ordonnant de ses affaires en politique, examinant les progrès de sa maladie en physicien, et triomphant de la mort en héros.
Il avait épousé en 1707200-b Sophie-Dorothée, fille de George de Hanovre, qui devint roi d'Angleterre. De ce mariage naquirent : Frédéric II, qui lui succéda; les trois princes, Auguste-Guillaume, Louis-Henri,200-c et Ferdinand; Wilhelmine, margrave de Baireuth; Frédérique, margrave d'Ansbach; Charlotte, duchesse de Brunswic; Sophie, margrave de Schwedt; Ulrique, reine de Suède; Amélie, abbesse de Quedlinbourg.
<201>Les ministres de Frédéric-Guillaume lui firent signer quarante traités ou conventions, que nous nous sommes dispensé de rapporter, à cause de leur frivolité. Ils étaient si éloignés de la modération de ce prince, qu'ils songeaient moins à la dignité de leur maître, qu'à augmenter les bénéfices de leurs emplois. Nous avons de même passé sous silence les chagrins domestiques de ce grand prince : on doit avoir quelque indulgence pour la faute des enfants, en faveur des vertus d'un tel père.
La politique du Roi fut toujours inséparable de sa justice : moins occupé à s'étendre qu'à bien gouverner ce qu'il possédait, toujours armé pour sa défense, et jamais pour le malheur de l'Europe, il préférait les choses utiles aux choses agréables. Bâtissant avec profusion pour ses sujets, et ne dépensant pas la somme la plus modique pour se loger lui-même, circonspect dans ses engagements, vrai dans ses promesses, austère dans ses mœurs, rigoureux sur celles des autres, sévère observateur de la discipline militaire, gouvernant son État par les mêmes lois que son armée, il présumait si bien de l'humanité, qu'il prétendait que ses sujets fussent aussi stoïques qu'il l'était.
Frédéric-Guillaume laissa, en mourant, soixante-six mille hommes201-a qu'il entretint par sa bonne économie, ses finances augmentées, le trésor public rempli, et un ordre merveilleux dans toutes ses affaires.
S'il est vrai de dire qu'on doit l'ombre du chêne qui nous couvre, à la vertu du gland qui l'a produit, toute la terre conviendra qu'on<202> trouve, dans la vie laborieuse de ce prince et dans les mesures qu'il prit avec sagesse, les principes de la prospérité dont la maison royale a joui après sa mort.
145-a Le 4 d'août, vieux style.
150-a Le bailliage de Biegen, auprès de Francfort.
151-28 Vollrath, qui en était en possession, vint à mourir, et avec lui s'éteignit sa race.
151-a Fribourg. C'est le marquis d'Asfeld qui prit Philippsbourg, en 1734.
153-a Charles atteignit, le 3 novembre 1714, la ville valaque de Pitescht. C'est de là que, le 6, il entreprit son audacieux voyage de deux cent quatre-vingt-six milles : dans la nuit du 21 au 22 novembre, il arriva aux portes de Stralsund, après seize jours de course.
156-a Le Roi rapporte aussi dans l'Histoire de mon temps, que cet officier contribua fortement à la prise de Stralsund, tandis que selon les autres sources, Hilmar Curas, Morgenstern, Seckendorff, Fassmann, Pöllnitz, et les journaux de siége de ce temps, tout l'honneur de ce fait revient à l'adjudant général, lieutenant-colonel de Köppen. Frédéric-Guillaume récompensa ce dernier d'une manière extraordinaire, en le nommant, le 8 novembre, lendemain du jour de cette action, colonel et chambellan en service ordinaire, et joignant à cette distinction la capitainerie de Stettin et de Jasenitz.
Le colonel Maximilien-Auguste de Köppen est mort le 11 avril 1717; il avait été anobli vers 1712.
Gaudi périt en 1745, au combat de Habelschwerdt, ayant le grade de colonel.
158-a Le comte Henri-Frédéric-Christian de Wartensleben, fils aîné du feld-maréchal, naquit le 15 juillet 1694, et fut tué devant Stralsund le 18 décembre 1715, major au régiment d'infanterie de Finckenstein. Il n'a jamais été colonel des gendarmes. La Fährschanze fut occupée le 17 novembre.
158-b Le 23.
159-a Le roi Frédéric-Guillaume Ier reçut la prestation de foi et hommage à Königsberg, le 11 septembre 1714.
161-a Il faut lire : « Auprès de Péterwardein (5 août 1716), et pris Témeswar (13 octobre). »
164-a Ulrique-Éléonore.
169-a Clément fut pendu à Berlin le 18 avril 1720.
172-a Cet arrêt ne date pas du 2 août 1719, mais bien du 27 février 1720.
173-a Le Roi veut dire la paix d'Utrecht, qui fut conclue en 1713.
174-a Charles-Louis comte de Truchsess-Waldbourg, général-major.
178-a Feld-maréchal comte Scheremetjeff.
180-a Le 26 juin 1725, les états du duché de Courlande choisirent le comte Maurice de Saxe pour successeur présomptif du duc Ferdinand, qui ne mourut que le 4 mai 1737, à Danzig : ainsi Maurice n'a jamais été véritablement duc de Courlande.
181-a Le comte Seckendorff arriva à Berlin le 25 juin 1726, et le 12 octobre de la même année il avait déjà négocié le traité de Wusterhausen. Le 23 décembre 1728, il arrangea définitivement le traité secret de Berlin. C'est ce traité que le Roi paraît avoir eu présent à l'esprit, lorsqu'à propos des différends survenus, en 1729, entre la Grande-Bretagne et la Prusse, il dit, à la page qui suit : « A peine ce traité fut-il conclu, etc. »
184-29 Vingt-trois mille hommes.
184-a Radewitz.
190-a L'accise, introduite pour la première fois en Angleterre durant les guerres civiles de 1643, fut conservée à la restauration, et par la suite augmentée peu à peu. Les principales marchandises sujettes à l'accise furent premièrement le malt, le sel et l'eau-de-vie. Sir Robert Walpole voulait qu'on imposât surtout le vin et le tabac; mais, dans son discours du 14 mars 1733, il ne parla que du tabac.
194-a L'archevêque comte de Firmian.
195-a Aucune histoire de Courlande ne parle d'une seconde élection du comte Maurice de Saxe, mais seulement de ses efforts infructueux à faire valoir ses prétentions sur le duché.
197-a Mort en 1736, le 21 avril.
199-a Le royaume de Servie et la Valachie autrichienne.
199-b Le comte Neipperg était en prison à Raab.
200-a Ce traité fut conclu à la Haye, le 5 avril 1739, entre l'ambassadeur français, le marquis de Fenelon, et l'ambassadeur de Prusse, Abraham-George Luiscius. Il consistait en cinq articles, plus trois articles secrets.
200-b Le 28 novembre 1706.
200-c Frédéric-Henri-Louis.
201-a Dans la dissertation qui suit ici, intitulée Du militaire, l'Auteur dit que l'armée était forte de soixante-douze mille hommes, et au commencement de l'Histoire de mon temps, il parle de soixante-seize mille hommes : aucun de ces chiffres n'est exact. Il résulte d'un rapport officiel du général de Massow, du 10 janvier 1748, adressé au Roi, qu'elle se montait à quatre-vingttrois mille quatre cent soixante-huit hommes, y compris l'Unterstab, qui comptait mille cent seize personnes. L'Unterstab, dénomination qui pourrait se traduire par sous-état-major, se composait d'individus non-combattants attachés au régiment : c'étaient le médecin, l'aumônier, le juge et le payeur.