<103>Que notre esprit trop vain veut s'élever trop haut,
Que l'homme veut percer de ses yeux téméraires
La nuit dont la nature a voilé ses mystères,
Son audace frivole, au lieu d'embrasser tout,
De son étroite sphère apprend à voir le bout.
Non, l'esprit, hors des sens, n'a plus d'intelligence,
Nos organes grossiers font toute sa puissance,
Notre raison, sans eux, comme un esquif léger,
Sans boussole et sans mâts, flotte au gré de la mer;
Jouet des aquilons, perdant le port de vue,
Elle échoue aux écueils d'une terre inconnue.
A des absurdités tout système conduit,
En évitant Scylla, Charybde m'engloutit.
Serait-ce donc à l'homme à décider en maître
Sur tant de profondeurs qu'il ne saurait connaître?
Par le rapport des sens et leurs illusions,
Il reçoit des objets quelques impressions;
A l'entendre, on dirait que le maître du monde,
Quand il forma les cieux, quand il abaissa l'onde,
Daigna le consulter sur ces profonds desseins
Qui règlent la nature et fixent les destins,
Et l'orgueilleuse Athène et la savante Rome
Définissaient les dieux, lorsqu'ils ignoraient l'homme.
Est-ce à toi, vil mortel à l'esprit limité,
D'asservir sous tes lois l'immense éternité?
Parle, insecte orgueilleux, qui régis l'Empyrée,
Vois l'abîme des temps et ta courte durée :
Aurais-tu précédé ces siècles si nombreux,
Toi qui ne vis qu'un jour, qui t'engloutis dans eux?
Ton œil, qui peut à peine endurer la lumière,
Prétend percer des cieux la brillante carrière!