<110>L'homme est fait pour agir, non pour philosopher.a
Nos organes, d'Argens, seraient d'autre fabrique,
Si l'homme eût été fait pour la métaphysique :
Notre esprit, dégagé des terrestres liens,
Pourrait, en s'élevant aux champs aériens,
Y voir ce qu'il suppose et tout ce qu'il ignore,
Ces esprits immortels, ce Dieu que l'on adore;
Nos yeux seraient perçants, nos désirs satisfaits,
On n'aurait plus besoin de microscope anglais.
Point de problème alors, tout serait axiome,
On pourrait disséquer la monade et l'atome,
Et, prenant la nature à l'instant que tout naît,
Décomposer chaque être et savoir ce qu'il est.
L'Éternel nous cacha ces objets des sciences,
Il nous rendit heureux sans tant de connaissances;
Plions modestement nos vœux à ses arrêts,
Du lot qui nous échut soyons tous satisfaits,
Qu'à notre esprit débile et prudemment timide
La modération serve toujours de guide.
Ce fut dans son école où fleurit autrefois
Ce philosophe grec5 dont nous suivons les lois;
Ce sage, de l'erreur craignant le bras magique,
Contre elle se couvrit de l'égide sceptique;
De notre faible esprit il connaissait l'orgueil,
Et d'un système adroit le dangereux écueil.
Cicéron, son disciple, au fond de l'Ausonie
Transporta son école et son académie.
5 Carnéade.
a Ce vers est tiré de la Satire sur l'Homme (Satire against Man), par le comte Rochester. Voltaire (Œuvres, édition Beuchot, t. XIII, p. 401, et t. XXXVII, p. 244) l'avait rendu ainsi :
L'homme est né pour agir, et tu prétends penser!