<133>Peignez-vous, s'il se peut, les horreurs de ces temps :
Les places, les maisons pleines de nos mourants;
Là, le frère expirant sur le corps de son frère,
Le cadavre du fils couvrant celui du père;
Là, les tristes sanglots et les cris douloureux
Des lamentables voix qui s'élevaient aux cieux.
Voyez ce tendre enfant qui tette à la mamelle :
Il prend sans le savoir une boisson mortelle,
Sa mère défaillante et manquant de secours
Veut même en expirant lui prolonger ses jours.
Figurez-vous ces morts privés de sépulture,
Et représentez-vous l'odeur infecte, impure,
Qu'exhalaient dans les airs tant de corps empestés,
Ces passants par l'odeur à l'instant infectés.
Nos sens n'étaient frappés que d'objets lamentables;
O jours trop désastreux! spectacles effroyables!
A la sombre lueur d'un funèbre flambeau,
Une famille entière est conduite au tombeau,
Et tous ceux qui lui font cette faveur dernière
Dans peu sont tous portés au même cimetière.
Là des monceaux de morts on détournait ses pas;
Où fuir? hélas! partout on trouvait le trépas;
La mort, jusqu'aux saints lieux insultant tout asile,
Fit un sépulcre affreux de cette triste ville,10
La peste avait juré la mort des Prussiens;
Il nous restait si peu des anciens citoyens,
Par les meurtres nombreux qu'avait commis sa rage,
Que ce pays désert semblait un champ sauvage.
10 Königsberg.