<141>Ah! modérez, mortels, vos désirs violents.
Un ciel toujours serein, un bonheur sans mélange
Était-il fait pour vous, qui rampez dans la fange?
Rien ne vous était dû, j'ai beaucoup fait pour vous;
Ingrats à mes bienfaits, redoutez mon courroux. »
Il dit, et dans l'instant, à ses accents terribles,
Le palais et le dieu devinrent invisibles,
Et ce peuple à projets, détrompé de ses vœux,
Dit en se résignant : Laissons agir les cieux.
Qu'est-ce que nos souhaits? Des plaintes insensées,
D'inutiles regrets, de frivoles pensées,
Des songes turbulents d'un sommeil agité,
Et l'éternel dégoût d'un bien qu'on a goûté.
Notre sort est marqué, l'homme déraisonnable
Veut changer à son gré son arrêt immuable;
Tandis que Jupiter de deux vases égaux
Verse sur les humains et les biens et les maux.
Mortel extravagant, fragile créature,
Prétends-tu renverser l'ordre de la nature
Et jouir d'un bonheur toujours pur et parfait?
Dis-moi, qui t'a promis cet étrange bienfait?
Réponds : pour quels humains les trois Parques sévères
Ont-elles donc sans fin filé des jours prospères?
Consultons, s'il le faut, ces poudreux monuments,
Ces fastes échappés à l'injure des temps,
Fouillons l'antiquité, rappelons la mémoire
De ces illustres morts qui vivent dans l'histoire :
J'en vois comblés d'honneurs, j'en vois chargés de fers,
Et tous ont dans leur vie essuyé des revers.
Crésus se crut heureux; une foule importune
De courtisans flatteurs adorait sa fortune;