<188>Un homme du bel air à mine évaporée
Voulait un grand état, une maison dorée;
Un franc dissipateur exigeait un gros bien,
Pour qu'il eût le plaisir de le réduire à rien;
L'avare lui disait : Déesse salutaire,
Donnez-moi bien de l'or, afin que je l'enterre;
Un comte en se dressant criait avec fierté :
Quand parviendrai-je au rang que j'ai tant mérité?
Je n'aurais jamais fait, si de tant de prières
Je voulais rapporter les phrases singulières;
Bref, aucun ne pensait dans ses bizarres vœux
Au noble et doux plaisir de faire des heureux;
Et ma déesse aveugle, inégale et quinteuse,
Sur l'emploi de ses dons nullement scrupuleuse,
Refusait par travers ou donnait sans raison.
La fortune, lui dis-je, est un cruel poison;
Lorsqu'elle a pu remplir l'esprit de sa chimère,
Elle altère le fond du meilleur caractère.
L'homme dans ses transports s'imagine être un dieu,
Il prétend que pour lui l'encens fume en tout lieu;
Ces grands, enorgueillis de leur magnificence,
Pensent qu'ils sont l'objet pour qui la Providence
Fit sortir du néant ces êtres si divers
Qui rampent sur la terre ou volent dans les airs;
Ils se placent eux seuls au centre de ce monde,
Et tout le reste est bien quand pour eux tout abonde,
Tendres sur leur sujet, insensibles pour nous,
Ivres de leur plaisir, de leur grandeur jaloux,
Semblables aux rameaux dont les feuilles stériles
Du tronc qui les nourrit tirent les sucs utiles,