<205>Sera-ce l'avocat qui pourra vous défendre,
Si quelque prince actif, prêt à tout entreprendre,
Forme sur le royaume un projet dangereux,
Et vient couvrir vos champs de ses soldats nombreux?
Supprimons le soldat ou le jurisconsulte,
Même danger alors pour l'État en résulte :
Ce serait, un vaisseau privé de matelots,
Voguant au gré d'Éole à la merci des flots.
De ces instincts divers l'espèce et la nuance
Fait, loin de la blâmer, bénir la Providence;
Ne condamnons jamais que le vice effronté,
Trop funeste ennemi de la société.
On peut vous pardonner l'humeur acariâtre,
A vous que la nature a traités en marâtre,
Vous, malheureux Thersite, et vous, triste Brunel.a
Oui, vengez-vous sur nous des cruautés du ciel.
Mais qu'un homme d'esprit se porte à la folie
D'obscurcir les talents, de ternir le génie,
Que, par malice enclin à blâmer ses égaux,
Taupe sur leurs vertus et lynx sur leurs défauts,b
Il se fasse un plaisir de nuire et de médire,
Non, c'est à quoi mon cœur ne peut jamais souscrire.
Ce sujet me rappelle un conte qu'on me fit,
Dans cet âge où la fable instruisait mon esprit.
En ces temps où le monde était en son enfance.
Chaque être était, dit-on, doué de connaissance,
La raison éclairait les sages animaux,


a Personnage difforme et malheureux des poëmes du Bojardo et de l'Arioste.

b

Lynx envers nos pareils, et taupes envers nous,
Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes.

La Fontaine, liv. I, fable VII,

La Besace

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