<211>C'est un sophiste adroit dont l'argument perfide
Étouffe le flambeau dont la raison nous guide.
L'esprit n'en est pas moins un présent précieux
Que l'homme ingrat reçut de la faveur des cieux;
Il est un rayon pur de l'essence divine,
Qui fait penser, agir, dont l'âme s'illumine;
Il voit dans le passé, perce dans l'avenir,
Conçoit, juge, conclut, prouve et sait définir,
Et d'un principe admis tirant la conséquence,
Il guide à la raison et mène à la prudence;
La nature voulut que ses puissants ressorts
Fussent et le moteur et l'âme de nos corps.
Mais cet esprit vanté, divin par son essence,
N'aura jamais chez moi l'injuste préférence
Sur un cœur simple et pur, fidèle à son devoir.
Ayez de la mémoire, ayez un grand savoir,
Soyez spirituel, plaisant, profond, sublime,
Ce n'en est pas assez, je veux qu'on vous estime;
Mon suffrage, en un mot, n'est dû qu'à la vertu.
Sans vertu, tout esprit est mal fait et tortu :
Elle fait l'ornement et la base de l'homme.
Sectateur de Genève ou sectateur de Rome,
Soyez bon citoyen, et mon cœur vous chérit;
Charmé de vos vertus plus que de votre esprit,
Vous m'inspirez alors une amitié sincère.
L'esprit n'altère point le fond du caractère :
Cet auteur tant noté,20 détesté des Français,
Qui contre le Régent décocha tant de traits,
Et couvrit des attraits d'une douce harmonie
L'assassinat affreux que fit sa calomnie,
20 La Grange. [Voyez t. VII, p. 60.]