<230>Je vois Lucrèce et Locke au bout de la carrière;
Venez, suivons leurs pas, et montrons aux humains
Leur nature, leur être, et quels sont leurs destins;
Examinons l'esprit depuis son origine,
Pendant tous ses progrès, jusqu'à notre ruine :
Il naît, se développe et croît avec nos sens,
Il éprouve avec eux différents changements;
Ainsi que notre corps, débile dans l'enfance,
Étourdi, plein de feu dans notre adolescence,
Abattu par les maux et fort dans la santé,
Il baisse, il s'affaiblit dans la caducité,
Il périt avec nous, son destin est le même.
Mais l'âme, qu'on nous dit de nature suprême,
Quoi! cet être immortel, presque l'égal des dieux,
Quitterait-il pour nous l'heureux séjour des cieux?
Daignerait-il s'unir à ce corps peu durable,
A la matière ingrate, abjecte et périssable,
Épier les moments des plaisirs de Vénus,
Se tenir en vedette, animer le fœtus,
Et s'enfermer neuf mois dans le sein de la mère,
Dans un cachot obscur prisonnier volontaire,
Pour s'exposer après à tous les coups du sort,
Souffrir le chaud, le froid, la douleur et la mort?
Voilà les visions dont notre orgueil nous flatte.
Consultons sur ces faits les enfants d'Hippocrate,
Voyons la mécanique et les jeux des ressorts
Qui meuvent nos esprits, de même que nos corps.
Lorsque l'astre du jour termine sa carrière,
Que le discret sommeil ferme votre paupière,
Que fait alors cette âme? Elle dort avec vous.