<84>La Gloire parle ainsi : « Je te plains, cher pasteur;
Faut-il que les talents dont ton esprit abonde
Restent ensevelis pour nous et pour le monde?
Quitte l'obscurité, connais-toi mieux, Damon,
C'est une double mort que de mourir sans nom;
Il faut à tes vertus une illustre carrière,
Il est temps, viens, suis-moi, parais à la lumière,
Cesse de te cacher ton mérite éminent,
La fortune t'appelle, et la gloire t'attend.
J'annonce à ton génie une grandeur certaine,
Choisis, deviens auteur, ministre ou capitaine;
De tes contemporains applaudi, respecté,
Ton nom peut passer même à l'immortalité.
Vois-tu bien ces bergers éblouis de ta gloire
S'écrier, tous surpris et ne pouvant le croire :
C'est donc là ce Damon que nous connûmes tous!
Colin et Licidas en sont déjà jaloux;
Ah! qu'ils vont envier tes grandeurs sans pareilles! »
Damon, à ce discours nouveau pour ses oreilles,
Sent un trouble secret; un charme suborneur
A porté son poison jusqu'au fond de son cœur;
L'ambition soudain de son esprit s'empare.
L'Intérêt attentif s'aperçoit qu'il s'égare;
Il saisit le moment qu'il est déjà troublé,
Afin de lui donner un assaut redoublé,
Et d'exciter encor dans le fond de son âme
L'insatiable soif de son métal infâme.
« Connais ton ignorance, ô rustique pasteur!
Apprends de moi, dit-il, quel est le vrai bonheur :
Tu n'es qu'un indigent, et tu crois être sobre,
Va, ta simplicité dans le fond n'est qu'opprobre.