<85>Quoi! Damon, lâchement esclave d'un troupeau,
Abreuve ses brebis, les tond de son ciseau,
Tandis que tant d'humains vivant dans l'opulence
Ont consacré leurs jours à la molle indolence!
Ah! quel luxe charmant s'étale chez les grands!
Des palais somptueux logent ces fainéants,
Leurs promenades sont des pompes triomphales,
Leurs repas, des festins, leurs jeux, des saturnales;
Les hommes,a ici-bas aux richesses soumis,
Leur doivent leurs honneurs, leurs talents, leurs amis.
Sans argent il n'est rien que misère et bassesse,
On prône vainement la stérile sagesse;
Un esprit merveilleux, un mérite divin,
Vous laissent, sans argent, un vertueux faquin.
L'or a dans ces climats une entière puissance,
Il donne à tous vos goûts une heureuse influence :
Faut-il faire valoir des droits litigieux,
Votre cœur brûle-t-il de feux séditieux,b
Frappez d'un marteau d'or, les portes sont ouvertes,
Vos talents sont prônés, vos sottises souffertes;
De l'univers entier ce précieux métal
Est le premier mobile et le nerf principal. »
Le malheureux Damon, que l'Intérêt assiége,
Ne peut plus résister, et tombe dans le piége;
Ses moutons et Philis, objets de ses plaisirs,
Sont effacés soudain par de nouveaux désirs.
Ce champêtre séjour lui devient insipide;
Des grandeurs et des biens sentant la soif avide,
Il abandonne enfin Philis et ses brebis.
a Les humains. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 116.)
b D'un feu séditieux. (Variante de l'édition in-4 de 1760, p. 116.)