<142>Ma muse, du Pinde proscrite,
M'avertit que son dieu la quitte.
Ainsi donc j'abandonnerai
Cette brillante carrière;
Mais tant que vous la remplirez,
Appuyé sur la barrière,
Battant des mains, j'applaudirai.
Je vous rends un peu de laiton pour de l'or tout pur que vous m'envoyez. Il n'est en vérité rien au-dessus de vos vers. J'en ai vu que vous adressez à Algarotti,a qui sont charmants; ceux qui sont pour moib sont encore au-dessus des autres. La Sémiramis m'est parvenue en même temps, remplie de grandes beautés de détail et de ces superbes tirades de vers qui confirment le goût décidé que j'ai pour vos ouvrages. Je ne sais pas cependant si les spectres et les ombres mettront dans cette pièce le pathétique que vous vous en promettez. L'esprit du dix-huitième siècle se prête à ce merveilleux lorsqu'il est mis en récit; c'est un peu hasarder que de le mettre en action, et je doute que l'ombre du grand Ninus fasse des prosélytes. Un public qui croit à peine en Dieu doit rire des démons lorsqu'il leur voit jouer un rôle sur le théâtre. Je hasarde peut-être trop que de vous exposer mes doutes sur un morceau dont je ne suis pas juge compétent. Si c'était quelque manifeste, quelque alliance, ou quelque traité de paix, peut-être pourrais-je en raisonner plus à mon aise et bavarder politique, ce qui est le plus souvent travestir en héroïsme la fourberie des hommes. Je me suis enfoncé à présent dans l'histoire : je l'étudie et je l'écris,c plus curieux de connaître celle des autres que de savoir la fin de la mienne, me portant mieux à présent, vous con-
a Voyez t. X, p. 75, 202 et 255.
b Voyez le commencement de la lettre de Voltaire au Roi, du 9 mars 1747.
c Les Mémoires de Brandebourg. Voyez t. I, p. XXXVII.