<280>Dit à Darget : « Ne faites l'imbécile,
Point ne pleurez, soyez content, tranquille;
Aucun malheur ne vous arrivera,
Et le Lorrain bien vous accueillera.
Pour dissiper votre fâcheux déboire,
Chemin faisant, vous ferai mon histoire.
Je suis le fils cadet du Juif errant;
Mon père était savant dans le grimoire,
Et des démons il fut l'ami prudent.
Je suis natif d'un bourg en Dalmatie;
De là, mon père, avec lui me menant,
Me transporta, jeune encore, en Russie.
Bien me gardai de débuter en juif;
Je pris le nom de quelque baronnie,
Je m'affichai, je fis le décisif,
Et des barons j'affectai la manie.
A mes propos facilement on crut,
Et d'un emploi bientôt on me pourvut;
Je remplissais la cour de la Czarine,
Et n'étais point haï de Catherine.
Du temps passé, tout ce peuple brutal
Sentait à peine un instinct bestial;
Stupidement rampant dans sa patrie,
En respectait l'antique barbarie.
Pierre le Grand, sachant les redresser,
Sur les deux pieds leur apprit à marcher;
Il fit couper les barbes à ces bêtes,
A la française habilla ses boyards,
Les enrôla dessous ses étendards.
Mais il ne put jamais changer leurs têtes :