<282>Trois fois je vis changer les souverains.
Pour mon malheur, la nouvelle czarine,
L'œil enflammé, me fit mauvaise mine;
Le lendemain un courtisan discret,
A son discours clouant une préface,
Me dit : Franquin, voyez la belle grâce
Que la Czarine en ce moment vous fait :
Vous devenez son bouffon par brevet.
A ce discours, perdant la tramontane,
Sur le boyard je fonds avec ma canne;
Et le brevet en pièces déchirant,
Je lui jetai les morceaux au visage,
Hors du logis le conduisant battant,
Tant qu'en rumeur en vint le voisinage.
L'on me saisit, et me met en prison,
Des coups de knout je reçus à foison;
Puis l'on me dit, je crois par moquerie :
De la Czarine admire la bonté;
L'on t'enverra tout droit en Sibérie,
Où Sa clémente et douce Majesté
Te permet même, ô grâces sans pareilles!
D'oser porter nez, langue, et deux oreilles.
Ce compliment m'animait de fureur,
Mais il fallut retenir mon grand cœur.
L'un, m'approchant, me dit : C'est bagatelle
D'aller là-bas; ce n'est chose nouvelle.
Tu n'es, Franquin, du nombre des premiers,
Ni ne seras sûrement des derniers.
Vois-tu ces gens que Pétersbourg fait naître?
Pendant un temps ils restent parmi nous;