<95>Ce poids, qui nous entraîne en sa course orageuse,
Augmente à chaque instant notre perversité;
Et d'écoliers, docteurs dans la méchanceté,
En étendant partout la pratique des vices,
Nous tombons d'un abîme en d'affreux précipices.
Dans ce monde méchant on ne peut être bon,
Dira du Florentin13 le disciple profond;
Entouré de filous, il faut s'armer de ruse,
Qui prétend nous duper mérite qu'on l'abuse;
Et colorant ainsi les vices de son cœur,
Il trouve l'innocence où je vois la noirceur.
Il modela longtemps sa morale farouche
Sur Borgia, Célamar,a Mahomet et Cartouche;
Ses mots entortillés ont un sens captieux,
Il est profane un jour, l'autre, religieux,
Et de l'hypocrisie il prend le masque utile,
Pour armer les fureurs du vulgaire imbécile;
Mais dans l'art des fripons ce scélérat savant
Sait cacher sous des fleurs les piéges qu'il nous tend.
Ce n'est que pour un temps que prospère le fourbe :
Son esprit tortueux, fallacieux et courbe,
Toujours obscurément le conduit à son but;
Le prestige finit dès son premier début,
De sa duplicité les ressorts se découvrent,
Le charme disparaît, tous les yeux enfin s'ouvrent.
Qu'il rampe obscurément, en horreur chez les siens,
Parmi le dernier rang des derniers citoyens;
Que ce serpent, couvert d'ordure et de poussière,
Croupisse dans la fange et craigne la lumière.
13 Machiavel.
a Le prince Cellamare. Voyez t. I, p. 163.