<45>Qui prescrivez un terme à la prospérité!
O Fortune inconstante! ô déesse légère,
Que tout ambitieux au fond du cœur vénère!
On ne m'entendra point, profanant l'art des vers,
Célébrer tes faveurs, déplorer mes revers :
Je sais que je suis homme et né pour la souffrance,
Je dois à tes rigueurs opposer ma constance.
Et toi, peuple chéri, peuple objet de mes vœux,
O toi, que par devoir je devais rendre heureux,
Ton danger que je vois, ton destin lamentable
Me perce au fond du cœur; c'est ton sort qui m'accable.
J'oublierai sans regret le faste de mon rang,
Mais pour te relever j'épuiserai mon sang;
Oui, ce sang t'appartient, oui, mon âme attendrie
Immole avec plaisir ses jours à ma patrie.
Longtemps son défenseur, j'ose du même front
Ranimer nos guerriers à venger son affront,
Défier le trépas au pied de ses courtines,
Vaincre, ou m'ensevelir couvert sous ses ruines.
Tandis que je m'apprête à braver mon destin,
Dieux! quels lugubres cris s'élèvent de Berlin!
A travers les sanglots d'une douleur amère
Se distingue une voix ... « La mort frappe ta mère!a
Les ombres du trépas ... » que dis-je? c'en est fait;
Ah! du sort irrité voilà le dernier trait.
Tous genres de malheurs sur moi fondent en foule,
Ma vie en vains regrets funestement s'écoule,
J'ai trop vécu, hélas! pour un infortuné.
Malgré moi de vos bras, ô ma mère, entraîné,
Que ce dernier congé dans ces moments d'alarmes


a Le 28 juin 1757. Voyez t. IV, p. 207.