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A VOLTAIRE, QUI AVAIT FAIT UN COMPLIMENT FLATTEUR AU ROI SUR DES VERS QU'IL LUI AVAIT ENVOYÉS.

De l'art de César et du vôtre
J'étais trop amoureux dans ma jeune saison;
Mais je vois, au flambeau qu'allume ma raison,
Que j'ai mal réussi dans l'un comme dans l'autre.
Depuis ce grand Romain qu'on osa massacrer,
Dans les noms que l'histoire eut soin de consacrer,
Il n'en est presque aucun, en exceptant Turenne,
Condé, Gustave-Adolphe, Eugène,
Que l'on ose lui comparer.
Sur le Parnasse, après Virgile,
Je trouve, sur dix-sept cents ans,
Que le génie humain stérile
Fut dépourvu de grands talents.
Si le Tasse, depuis, réussit à nous plaire
Par les beaux détails de ses chants,
Sa fable mal ourdie altère
Tout l'éclat de ses traits brillants.
Enfin le seul digne adversaire
Qu'au cygne de Mantoue on ait droit d'opposer,
<179>On va le deviner, je me le persuade,
C'est l'auteur que la Henriade
Mérita d'immortaliser.
Pour moi, je me renferme en mes justes limites,
Et, loin de me flatter d'atteindre en mon chemin
Au talent du poëte et du héros romain,
Je borne mes faibles mérites
Aux soins de secourir la veuve et l'orphelin.

(1er mai 1760.)