<141>Ni l'amour ni les goûts ne sont point à commande,
Et chacun de son cœur fait librement l'offrande.
Mais, comte, examinez nos cheveux blanchissants,
Nos fronts cicatrisés et nos membres tremblants;
Qui pensera qu'encor ces détestables charmes
Puissent porter aux cœurs le trouble et les alarmes?
Oui, nos vœux doivent être à coup sûr rejetés.
Quittons plutôt un dieu, puisqu'il nous a quittés,
Et d'un cœur magnanime abandonnons à d'autres
Ces plaisirs enchanteurs qui ne sont plus les nôtres.
La nature abondante et prodigue en ses dons
Nous en a dispensé pour toutes les saisons :
Au printemps de nos jours, heureux temps d'innocence,
La joie est dans les pieds, on court, on saute, on danse;
Bientôt le plaisir monte, et les adolescents
Au centre de leur corps ont le siége des sens;
Au midi de nos jours, ce feu s'élève aux têtes,
Le gain, l'ambition, y causent des tempêtes;
Et quand l'hiver des ans amortit notre ardeur,
La raison nous enchante et fait notre bonheur.
Ainsi, par une loi constante, irrévocable,
La nature a voulu que tout fût variable;
Tout ce qui naît s'accroît, se mine, et se détruit,
Le plus beau jour se voit succédé par la nuit.
Le sage à cette loi se soumet sans murmure;
Il profite en passant des dons de la nature,
Il ne peut en hiver exiger le printemps.
Mais vous, que la nature a comblé de présents,
Soyez reconnaissant, à ses faveurs sensible.
Qu'un fou présomptueux, ingrat, incorrigible,
Lui demande à grands cris d'augmenter ses bienfaits,