<81>A quoi vous eût servi que, valet grand seigneur,
Vous eussiez quarante ans déchaussé l'Empereur?a
Il est beau d'approcher de près du diadème,
Mais il vaut mieux encor dépendre de soi-même.
Ainsi vous avez su, d'un choix prémédité,
Préférer aux grandeurs l'heureuse liberté,
Sans faste et sans apprêts, guidé par la nature,
Même sans y penser, disciple d'Épicure.
Rosswalde, en héritage entre vos mains passé,
Le disputa bientôt au palais de Circé,
Et ce bourg, ignoré du Tanaïs à l'Èbre,
Grâces à vos talents est devenu célèbre.
Ce n'est plus ce donjon sombre et peu fréquenté
Qu'à peine on tolérait pour son antiquité;
C'est un séjour divin; les yeux et les oreilles
S'étonnent d'y trouver cent charmes, cent merveilles;
Le Tasse et l'Arioste en deviendraient honteux,
S'ils voyaient vos travaux les surpasser tous deux.
Là, des enchantements l'ingénieux prestige
Produit à chaque instant prodige sur prodige;
Tout respire, tout vit, tout être est animé.
Par un charme soudain ce bois est transformé,
C'est un jardin superbe, et là-bas, par miracle,
Vous lisez dans un puits les arrêts d'un oracle.
La nature paraît obéir à vos lois,
Tout s'arrange, se fait, se plie à votre choix.
Tandis qu'en avançant on examine, on cause,
L'œil est soudain frappé d'une métamorphose :
a Dans le manuscrit original, ce vers est accompagné de la note suivante : « L'empereur Charles VI, dont le comte était chambellan. » Ce manuscrit de neuf pages in-4, de la main d'un secrétaire, avec des corrections de celle du Roi, se trouve aux archives du Cabinet, et porte la date « Potsdam, le 26 de mars 1771. »