VIII. ÉPITRE A D'ALEMBERT,201-a SUR CE QU'ON AVAIT DÉFENDU L'ENCYCLOPÉDIE ET BRÛLÉ SES OUVRAGES EN FRANCE.
Un sénat de Midas en étole, en soutane,
Du mensonge stupide organe,
A, nous dit-on, proscrit vos immortels écrits;
Son imbécillité condamne
Au feu messieurs les beaux esprits :
La superstition, l'erreur et l'ignorance
Sont-ils de la raison les juges à Paris?
Avec quelle fureur, avec quelle impudence
Ces prêtres de Baal, que l'enfer a vomis,
Étouffant le bon sens, poignardant la science,
Ont sur l'art de penser, à leur arrêt soumis,
Exercé les horreurs de la Saint-Barthélemy!
Barbares Visigoths, qu'osez-vous entreprendre?
Opprobre de nos jours, votre férocité
Vous empêche donc de comprendre
Que, malgré les complots de votre iniquité,
La raison et la vérité
<202>Sont comme le phénix, qui renaît de sa cendre!
Malgré tant de brouillards qu'exhalaient les erreurs
De vos conciles et synodes,
Galilée eut raison, et vos inquisiteurs
N'ont pu, joints à tous vos docteurs.
Anéantir les antipodes.
Mais qui vous rend persécuteurs?
Pourquoi votre rage insensée
Paraît-elle émue, offensée
De ce que de profonds auteurs,
Fidèles au bon sens, nous peignent leur pensée?
O comble de forfaits! ô siècle! ô temps! ô mœurs!
Je laisse en paix le tas de vos songes trompeurs,
Du faux merveilleux la tissure apocryphe;
Le crime vous décèle, indignes imposteurs :
Le vicaire du ciel, votre premier pontife,
Protége des conspirateurs,
Des prêtres furieux dont les complots perfides
Armaient contre leur roi des sujets parricides;
Le Portugal l'atteste, et l'Europe en frémit,
Le sage dans son cœur en silence en gémit,
Et Rome en ce siècle servile
Devient le repaire et l'asile
Du crime, qui s'y raffermit.
Un ordre qui d'Ignace a reçu sa doctrine,
Qui nourrit dans son sein le meurtre et la ruine,
Aux mœurs, aux lois, à rien astreint,
Que tout roi hait, déteste ou craint,
Qui porte en tous les lieux une guerre intestine,
En bravant le pouvoir, fièrement se soutient,
Quoiqu'il ait mérité cent fois qu'on l'extermine.
<203>Osez-vous, féroces chrétiens
Qui jusqu'au sanctuaire, au milieu de vos temples,
D'attentats aux humains fournîtes les exemples,
Calomnier encor les vertus des païens?
Si vous les accusez de crimes,
Furent-ils comme vous barbares et cruels?
Songez au nombre de victimes
Dont l'inquisition a rougi les autels
D'un Dieu qui des âmes sublimes
Exigeait des vertus, non le sang des mortels.
On dirait, en voyant vos bûchers solennels,
Que vous osez offrir vos offrandes fatales
A des déités infernales.
Ah! jusqu'à quand les nations
Souffriront-elles ces scandales
Et l'abus des religions?
Voilà, voilà pourquoi ces monstres à tonsure,
Ces charlatans de l'imposture,
Ces indignes vengeurs des intérêts du ciel,
Pleins d'animosité, de fureur et d'envie,
Ont déclaré la guerre à la philosophie;
Voilà pourquoi ces flots d'amertume et de fiel
Sont répandus sur votre vie.
Le ciel sert de prétexte à leur méchanceté;
Ces fourbes, en tremblant dans leur obscurité,
Craignent que la raison, de sa vive lumière,
N'éclaire de trop près leur infâme carrière,
Et décèle la vérité.
Laissez ramper dans la poussière
Ces fléaux de l'humanité;
Qu'ils mêlent l'injure au bréviaire,
<204>Qu'ils confondent l'orgueil avec l'humilité;
De leur croassement la clameur passagère,
O sage d'Alembert! pour votre esprit austère
N'est qu'un son frivole, un vain bruit,
Qui se dissipe et qui s'enfuit.
Amant des vérités sublimes, éternelles,
Sans vous embarrasser de leurs lâches querelles,
Au haut du firmament à vos calculs soumis,
En méprisant vos ennemis,
Continuez en paix, loin des cris des rebelles,
Vos découvertes immortelles;
Tandis que leur audace excite les enfers,
Et qu'à son tribunal l'idiot vous assigne,
Par un sort plus noble et plus digne,
Vous éclairerez l'univers.
201-a Voyez t. XII, p. 147-150.