<46>Récompensant les rois2 ou punissant la terre,
Asservissant l'Europe à ses vastes desseins,
Ce Louis ne fut pas maître de ses destins.
Sensible à ses revers, mais d'un cœur toujours ferme,
Ce roi de ses succès vit expirer le terme,
Et Tallard à Blenheim par Eugène vaincu
Ne put ni l'affaiblir ni le rendre abattu.
Au palais des Destinsa est un tableau céleste;
On y voit notre sort tant heureux que funeste,
Le malheur y sert d'ombre, et le bien de clarté.
Cette ombre donne au jour plus de vivacité;
Des maux perpétuels rendraient l'homme stupide,
Un bonheur sans revers deviendrait insipide.
Ce sage assortiment convient à l'univers,
S'il déplaît à nos yeux de nuages couverts.
Ainsi, pour modérer notre joie insensée,
Par les cieux le dégoût fut près d'elle placé;
Pour flatter nos chagrins, pour adoucir nos maux,
La constance fut mise au cœur des vrais héros.
Au temple du Bonheur elle sert de colonne,
Sa force le soutient et le perfectionne.
Ce bâtiment fragile a peu de fondements,
Il tremble et tressaillit au seul souffle des vents.
L'imagination en fut la fondatrice,
La sagesse étaya ce frivole édifice;
Mais l'homme impatient remarque avec regret
Que le temple à l'instant à ses yeux disparaît.
O toi,3 dont la vertu fit naître dans mon âme
De la tendre amitié la généreuse flamme!
2 La famille d'Angleterre, fugitive en France.
3 Césarion. [Voyez t. X, p. 24; et t. XI, p. 36, 102, 106 et 134.]
a Voyez la Henriade, chant VII, vers 278 et suivants.