I. ODE SUR LE TEMPS.
Toi qui n'admets rien de solide,
Dont l'essence est le changement,
O temps! que ta course est rapide!
Que tu passes légèrement!
Le globe que le ciel enferme
N'a point de puissance si ferme
Que tu n'entraînes avec toi;
Rien n'arrête ta violence,
Et le moment même où je pense
S'enfuit déjà bien loin de moi.
Les jours qui composent ma vie
Me sont comptés par les destins;
Des uns la douceur m'est ravie,
Les autres me sont incertains.
Le passé n'a plus aucun charme,
L'avenir me trouble et m'alarme,
Le présent m'est un faible appui;
Et comme un point indivisible,
Ou comme un atome insensible,
Il passe, et je passe avec lui.
<2>Fatale erreur qui nous entraîne!
Nous poursuivons de vains objets;
Pour une fortune incertaine
Nous formons mille vains projets.
L'homme, conduit par des caprices,
Semble oublier dans les délices
Que le ciel a borné ses jours;
Plein du doux poison qui l'enivre,
Il s'embarrasse autant de vivre
Que s'il devait vivre toujours.
Vainement il voit que la Parque
Nous tient tous soumis à ses lois,
Et que tous passent dans la barque
Où jamais on n'entre deux fois;
La raison et l'expérience
Ne peuvent par aucune instance
Réveiller ses sens engourdis;
Pour suivre ces fidèles guides,
Ou ses vertus sont trop timides,
Ou ses vices sont trop hardis.
Jusqu'à quand, vanités mondaines,
Enchanterez-vous nos esprits?
Tiendrez-vous toujours dans les chaînes
Nos cœurs, de vos charmes épris?
Passerons-nous dans l'esclavage
Toutes les saisons de notre âge,
Sans que nous puissions en sortir?
Nous faudra-t-il donc pour victime
Donner notre jeunesse au crime,
Notre vieillesse au repentir?
<3>Non, faisons un meilleur usage
D'un trésor qui nous vient des cieux;
Le temps est court, qu'on le ménage;
Tous les moments sont précieux.
Que les vertus, que la sagesse,
Occupent notre âme sans cesse,
De tout vice fuyons l'écueil;
Que notre esprit souvent médite
Combien la distance est petite
Du berceau jusques au cercueil.