<111> regardent tout avec mépris et croient l'univers indigne d'eux; vous voyez, d'un autre, des hommes caustiques et mordants dont les bouches accoutumées à blâmer sont autant d'organes de la satire; enfin des personnes pleines d'un objet dont rien ne peut les distraire, des débauchés qui s'abrutissent, des orgueilleux qui s'admirent, des voluptueux qui ne pensent qu'aux plaisirs, des ignorants qui ne connaissent rien et décident de tout, des envieux qui calomnient et déchirent leur prochain. Ce sont toutes ces têtes qu'il faut captiver et réunir, c'est cette multitude si diversifiée de pensées, d'inclinations et d'opinions, qu'il faut persuader de ses talents et de son mérite. Qu'il est difficile de gagner tant de suffrages! Qu'il faut de temps, de soins, de travaux et de succès pour élever l'édifice de sa réputation et forcer à la louange tant de bouches qui y répugnent! Ces mains avares épargnent chaque grain d'encens que d'autres exigent, pour le brûler sur leurs propres autels; d'autant plus faut-il estimer un pauvre artisan, dénué de protection et de crédit, qui, partant de si loin, franchit cette prodigieuse distance, se fait connaître, et réunit sur lui l'approbation du public. Encore est-il plus facile de se faire un nom de loin, d'en imposer à ceux qui ne nous voient ni ne nous connaissent; mais d'être prophète dans sa patrie et d'être approuvé par ses concitoyens, c'est le plus grand triomphe auquel la réputation humaine puisse prétendre.a Son nom s'est répandu dans tout le pays; il est devenu si célèbre, que des personnes qui ne l'avaient jamais vu lui envoyaient leur mesure, et le conjuraient de travailler pour elles; il fut si fort goûté, que ceux qui se piquent de galanterie et qui veulent se faire remarquer par l'élégance de leur parure ne croyaient point être chaussés, s'ils ne l'étaient par lui. Il était modeste, quoique recherché, ne refusant jamais ses services à ceux qui les exigeaient, souvent surchargé d'ouvrage, s'appliquant à contenter un chacun,
a Saint Matthieu, chap. XIII, v. 57.