<143>Je crois comme vous, monsieur, que la France n'a plus de ressources pour les dépenses de la guerre; du moins il est sûr qu'elle n'a plus la grande ressource du commerce. Mais cette extrême pauvreté n'autoriserait tout au plus qu'une levée rigoureuse en contributions, et la prise des foins, pailles, avoines, blés, bestiaux et chevaux; car pour en enlever les hommes, c'est trop corsaire. Mais pourquoi, au nom de Dieu, faire un désert de cet électorat? Faut-il donc que les conquêtes de la France soient toujours marquées au coin des ravages, des dévastations et des incendies? et enviez-vous à M. de Turenne les excès de barbarie qu'il commit dans le Palatinat, où il exécuta trop à la lettre les ordres inhumains d'un ministre du département de la guerre que la cruauté et la brutalité caractérisaient? On croit, et je le crois aussi, que le Roi son maître ignorait ces excès de fureur; je dirai plus, je suis persuadé que le Roi votre maître, dont l'humanité est reconnue, ignore aussi les ordres que vous avez jugé à propos d'envoyer à M. le maréchal de Contades. Je vous dirai encore ce que peut-être vous ignorez, mais qui pourtant est très-vrai; c'est que M. de Contades, dès qu'il sut que votre lettre était devenue publique, doit avoir dit qu il se serait bien donné de garde d'exécuter de tels ordres, puisqu'il faisait la belle guerre en honnête homme, mais qu'il ne faisait pas des déserts en barbare et en incendiaire. Au reste, que diront les Allemands, même vos alliés, de ce beau désert que vous vouliez faire d'un État très-considérable de l'Empire? Cela ne leur fera-t-il pas faire des réflexions qui probablement ne contribueront guère à cimenter vos alliances avec eux?
Mais c'était d'un pays ennemi, direz-vous, que vous vouliez faire un désert. - J'en conviens; mais en même temps le bon naturel et la bonne volonté y paraissent; et je ne doute pas que ce ne soit un avis salutaire aux princes de l'Empire, qui en tireront les conclusions naturelles.
Vos ennemis diront peut-être qu'il y a tant soit peu de fatuité