<144> dans les compliments de félicitation que vous faites à la France, de posséder un ministre militaire tel que vous; mais je vous excuse : Cicéron a dit autrefois la même chose,a et il est sûr que les grands hommes sont au-dessus des règles vulgaires de la bienséance. Mais ce que je ne peux pas vous passer, c'est ce don de prévoyance, pour ne pas dire de prophétie, que vous vous attribuez. Un ministre militaire qui sait prévoir! De grâce, M. le maréchal, ne prévoyez plus, je vous en conjure même au nom du Roi votre maître, à qui vos prévoyances ont toujours porté guignon. Vous avez prévu, dans la dernière guerre, quand vous croyiez avoir le sort de l'Allemagne entre vos mains, que vous mettriez la belle reine de Hongrie en chemise,b et que vous la feriez signer telle paix que vous voudriez sur les remparts de Vienne.b Le contraire est arrivé, et l'armée de plus de cent mille hommes que vous commandiez s'est entièrement fondue, sans coup férir.b Vous avez encore prévu que M. le prince Ferdinand de Brunswic serait battu, et que le maréchal de Contades, de concert avec un ministre militaire qui sait prévoir et se concerter avec le général, serait bientôt en état de faire un désert de l'électorat de Hanovre. Mais la bataille de Minden n'a pas réalisé votre prévoyance, au contraire; et, si je me mêlais de prévoir (mais vous m'en dégoûtez), je prédirais que les tristes débris de l'armée française repasseront le Rhin bien plus vite qu'ils ne l'ont passé. Vous prévoyez encore, en termes de prophéties, car ils sont assez obscurs, ce que vous savez. Nous savons ce que vous vouliez dire aussi bien que M. de Contades; mais nous savons en même temps que ce que vous savez n'arrivera pas. Encore une fois donc, je vous en supplie, corrigez-vous de ces prétentions au don de prophétie, puisque vous devez bien être convaincu que


a L'Auteur fait probablement allusion au discours de Cicéron pro Murena, chap. XI : « Summa dignitas est in iis, qui militari laude antecellunt : omnia enim, quae sunt in imperio et in statu civitatis, ab iis defendi et firmari putantur. » Voyez aussi Cicéron, l. c. chap. XXXVIII, vers la fin.

b Voyez t. II, p. 88, 89, 143 et 144; et t. III, p. 5.