<155> terre, nous y substituions un ramas d'hommes obscurs et sans aveu, comment qualifierions-nous leurs démarches? Ne me dites point que les souverains, n'ayant aucun juge au-dessus d'eux, ont le droit de décider leurs différends par l'épée; je le sais, et personne ne le leur conteste. S'ensuit-il que dix doivent se liguer contre deux pour les anéantir? et la politique doit-elle se dispenser entièrement des idées d'équité, de justice et de probité pratiquées par toutes les nations? Je vous dirai encore plus : que si cette grande alliance réussit à écraser ses ennemis, cela ne lui fera aucun honneur, car la gloire n'est le prix que des obstacles vaincus et des plus difficiles travaux. L'histoire ne nous fournit que l'exemple de la ligue de Cambrai, faite pour déchirer la république de Venise, que nous puissions comparer avec la grande alliance qui, de nos jours, se propose d'accabler la Prusse. Dans l'antiquité, nous voyons que les Romains parvinrent à subjuguer les nations, parce que ces peuples, la plupart barbares, n'eurent jamais l'adresse de se liguer ensemble pour résister à l'ennemi commun. Depuis que le colosse de l'empire romain fut détruit, il se forma de ses débris de grands royaumes que de puissants vassaux affaiblirent; les princes, sans autorité, luttaient sans cesse contre leurs sujets, et, trop retenus par des dissensions intestines, ils ne purent se rendre redoutables à leurs voisins. Après bien des siècles, l'autorité souveraine s'établit et jeta de profondes racines; nous fixons l'époque du pouvoir monarchique aux règnes de François Ier et de Charles-Quint. Alors tout changea; l'ambition des rois, n'ayant plus de frein qui l'arrêtât, s'exerça sur tout ce qui lui parut un objet de cupidité et d'agrandissement. Henri VIII, roi d'Angleterre, maintint par sa conduite habile l'équilibre entre la fortune de Charles-Quint et celle de François Ier, sans quoi le plus heureux ou le plus hardi des deux aurait bouleversé l'Europe. Depuis, cette balance du pouvoir devint l'objet principal de la politique des princes, et les faibles trouvèrent une ressource contre l'oppression des puissants. L'histoire moderne