<174>rait bien, lui dis-je, de vous traiter de même! car il n'y a rien de plus effronté que de se vanter de perfections qu'on est si loin de posséder. Cela lui déplut fort. Non, me dit-il, nous n'avons de castrati que pour chanter les louanges du Tien dans nos églises; mais nous nous gardons bien d'exercer ces cruautés sur nous-mêmes, parce qu'il n'y a point de mérite sans tentation, ni de victoire sans combats. Je ne pus m'empêcher de lui dire que cent mille bâtards ne le rendraient pas, lui et ses pareils, aussi odieux que tant d'autres crimes que cette multitude de bonzes commettaient, et que son lama autorisait si insolemment. Soit qu'il me trouvât moins flexible qu'il ne l'avait cru, je m'aperçus que sa physionomie se refrognait; il fit une dernière tentative, et me poussa un argument sur l'antiquité de son Église. Je lui répondis par ce que j'avais appris de mon juif portugais, que, sans compter que la religion juive était plus ancienne que celle dont il me vantait l'antiquité, je pouvais l'assurer que celle des lettrés surpassait encore de beaucoup celle des juifs.
La conversation devint languissante, et je me retirai tout doucement. Mon Portugais vint me trouver, et me dit qu'il avait découvert qu'on avait eu grande envie de me baptiser; que le prélat chez lequel j'avais été avait espéré de se rendre célèbre par ma conversion; et qu'au fond il était très-mortifié de n'y avoir pas réussi. O sublime empereur! vois ce que j'ai déjà risqué pour ton service, d'être lapidé pour un bouc à Constantinople, d'être brûlé par l'inquisition à Rome, et, ce qui pis est, d'y être baptisé sur le point d'en partir. Je compte de quitter Rome dans peu de jours pour un royaume qu'on appelle la France, et où l'on dit qu'il y a de belles choses à voir; de là je me prépare à passer par l'Espagne, l'Angleterre et l'Allemagne, pour retourner par Constantinople et te rendre compte de toutes les singularités que j'aurai remarquées dans un si long voyage.