<180> prince, charmé de cette découverte, consulta, malgré les pieuses remontrances de son directeur, ce suppôt de Belzébuth. Voici la réponse qu'il en reçut : « Sire, un pouvoir absolu et plus puissant que toutes les forces humaines ne permet pas que vous puissiez vaincre jamais le maréchal Daun; il est à couvert de toutes vos ruses, et l'effort de vos armes ne peut rien contre le chapeau et l'épée bénite dont le pontife de Rome l'a décoré. Il est un autre moyen pour vous tirer d'affaire : dès que vous ne combattrez pas contre ce général, plus invincible sous la toque papale qu'Achille sous les armes de Vulcain, les secours de l'enfer pourront vous être utiles. Belzébuth vous accordera la victoire; mais ce grand diable ressemble aux financiers et aux filles de l'Opéra, il ne fait rien pour rien. Il faut donc, selon l'usage ordinaire, faire un pacte avec lui, par lequel vous lui donnerez votre corps et votre âme après votre mort. Vous savez, Sire, que l'illustre maréchal de Luxembourg ne dut toutes les grandes victoires qu'il remporta qu'à un semblable pacte, et qu'on lui fit son procès, comme sorcier, au milieu de la brillante cour de Louis XIV et dans ce siècle si vanté et si philosophique. Pourquoi craindriez-vous donc d'imiter ce grand homme? »
Le roi de Prusse, frappé de la proposition de ce magicien, et conservant cette peur qu'il a toujours eue naturellement du diable, ne put se résoudre à faire le pacte dont on lui parlait; il répondit que s'il n'y avait, pour vaincre, d'autres moyens que d'aller à l'enfer, ce moyen lui paraissait plus difficile et même plus impossible que ceux dont il s'était servi jusqu'alors pour battre tant de fois ses ennemis. Eh bien, répliqua le dangereux philosophe, vous pouvez encore tirer parti de Belzébuth, en lui donnant vingt personnes dont vous êtes le maître. - Distinguons, repartit le Roi : si par ceux dont je suis le maître vous entendez mes sujets, je me suis toujours efforcé de les traiter comme un père traite ses enfants, et certainement je n'en donnerai jamais aucun au diable; mais si Belzébuth veut se contenter de quelques