<186>tinguer le moindre objet. Cela paraît d'abord incroyable; mais voici, mon révérend père, comment la chose s'est passée.
Les Prussiens ayant été repoussés pendant deux fois, les deux attaques finirent vers le coucher du soleil. Votre Révérence sait que le démon est le roi des ténèbres; à peine l'astre du jour déclina vers l'horizon, que le pouvoir du démon commença à prévaloir sur celui du saint-père. Plusieurs de nos officiers s'en aperçurent dans la troisième attaque des Prussiens, et représentèrent au maréchal Daun qu'il était à craindre que la toque et l'épée bénites ne perdissent leur vertu. Mais ce général, qui, soit dit entre nous, avait toujours beaucoup plus compté sur sa valeur et sur ses talents militaires que sur ce présent ecclésiastique, dont il se moquait dans le fond du cœur, voulut continuer le combat. Son indévotion et son incrédulité furent bientôt punies; il fut grièvement blessé.
Cependant l'avantage des Prussiens n'augmenta pas. Vainement prétendent-ils qu'avant l'entière obscurité de la nuit, ils ont eu une victoire complète; ils ont beau se récrier et dire : Comment aurions-nous pris cinquante pièces de canon, vingt-neuf drapeaux, un étendard, huit mille prisonniers, deux cent seize officiers, quatre généraux, et tout cela sans y voir goutte? Croit-on donc que les officiers prussiens sont des chouettes, et les soldats des chats-huants? On doit répondre à ces mauvaises objections qu'on ne prend pas les Prussiens pour des oiseaux nocturnes, mais pour des suppôts du démon. En effet, ce fut ce malin esprit qui, n'étant plus arrêté dans les ténèbres par la puissance papale, fut lui seul la cause de la victoire; il ordonna à tous les diablotins qui avaient poussé en route les Prussiens par le derrière de se placer sur leur nez et de se changer en lunettes, à la faveur desquelles ces méchants hérétiques remportèrent tous les avantages dont ils parlent sur les infortunés Autrichiens qui n'y voyaient goutte.