<34> l'un, nous prenons en pitié la pauvre espèce humaine, chez qui le sens commun n'est pas aussi commun qu'on le pense. Cette multitude de dupes produit des fripons; nous nous contentons de n'être du nombre ni des uns ni des autres, et de ne jamais acquiescer à ce que notre raison réprouve. Ceci me donna envie de m'adresser aux enthousiastes du charlatanisme, pour m'instruire de leur façon de penser; j'en tirai tout de suite un à part, et lui demandai s'il connaissait quelques personnes guéries par les drogues de ces empiriques? Non, repartit-il; leur vertu n'opère qu'après quatre-vingts ans, cent ans, ou plusieurs siècles écoulés. Sa bêtise me fit monter le feu au visage. Allez, lui dis-je, vous méritez d'être trompé, puisque vous voulez l'être; si vous faisiez usage de votre raison, il n'y aurait plus de charlatans au monde.
J'étais en train de poursuivre; mais mon sang était entré dans une telle agitation, que je me réveillai en sursaut. Je ne savais si toutes ces imaginations étaient des illusions ou des vérités. A force de me frotter les yeux, le sommeil se dissipa entièrement, et je conçus que j'avais fait un mauvais rêve; mais je n'eus recours ni aux Josephs ni aux Daniels pour me l'expliquer. J'écartai toutes ces images humiliantes pour l'espèce humaine de mon esprit, qui me mortifiaient. Je trouvai par hasard dans un coin le livre de la Sagesse, qu'on attribue à Salomon, et j'oubliai tout, en lisant ce qui suit : « Réjouis-toi, et profite du temps pour t'amuser, car tu n'es pas sûr d'en pouvoir faire autant demain. »